Rouler un peu vers le Nord
Trans Vallée (X) – 2019
Rouler un peu vers le Nord, c’est faire le choix de se rendre jusqu’à Portneuf, dans la Vallée du Bras-du-Nord pour y redécouvrir des sentiers qui ont une allure sauvage. De ces sentiers qui me parlent et qui me rappellent que nous ne sommes pas maître de nos terrains, mais bien que ceux-ci nous ouvrent leurs pistes pour que nous les empruntions, ici et là. Il y a toujours des voies plus dégagées que d’autres, mais ce qui nous sourit, je crois, demeure ce lieu où l’on ne trouve pas nécessairement une marque, une ligne ou une évidence de fréquentation. Je me délecte encore de ces passages et de ces paysages surprenants, parce qu’il arrive qu’on ne s’y attend pas, même lorsqu’un vague souvenir nous envahi. La surprise, comme un feu qui crépite, ça fait du bien.
Rouler un peu encore pour trouver ce que, peut-être, j’avais perdu dans les derniers mois. Prendre à bras-le-corps toute cette énergie qui cherche à trouver son utilité alors que le temps file. J’ai fait le choix d’atterrir au coeur de cette forêt pour deux ou trois jours. De voir ce qui pouvait se passer si je remettais un peu d’ordre dans mes pensées et dans mon corps. Un classique, que ce Trans Vallée. Une excursion permettant d’avoir l’impression qu’on sort d’une piscine des heures durant, alors que les tracés filent et que les gens défilent. Il s’en passe, des heures, dans la Vallée, autour de l’accueil Cantin, du camping Etsanha et de l’incroyable parcours destiné aux vélos de montagne. Une nature à la beauté toute crue, vaste et où le regard peut, ponctuellement, se porter au loin. Pourtant, le temps semble passer vite, presque trop vite.
D’un vendredi soir allumé à la frontale, rempli de perles de lumières qui trouvent leur cadence à un samedi, puis un dimanche endiablés, les souvenirs s’accumulent. Prendre le départ de chacune de ces courses porte son lot d’intensité. Les distances varient entre dix et trente-huit kilomètres, ce qui, de nos jours, semble bien accessible, mais elles offrent aussi à ceux et à celles qui s’initient comme aux habitués de belles opportunités de pousser, de se dépasser et de se découvrir, peut-être, une passion pour la chose. On y trouve son compte. C’est d’ailleurs ce que j’ai vécu. Ayant d’abord quitté Orford, j’ai mis ma tente, mes souliers, mon sac et mes provisions dans la voiture d’une amie, au détour de Trois-Rivières. Je me suis campée à St-Raymond (de Portneuf) sans autre attente que de me poser un peu. J’ai collé ma lampe à mon front et me suis élancée au premier départ, celui du soir, en me demandant si j’avais fait le bon choix. Puis, les yeux accrochés aux racines et aux jambes qui passaient, je me suis prise au jeu…après avoir mordu la terre, dans un moment d’inattention. Poussière autour des yeux, j’ai filé aux trousses des kilomètres qui me rapprochaient de la plage, point de retour et de rassemblement. La ligne d’arrivée était remplie de nuit. C’était magnifique. Trouver la simplicité dans un instant, un petit cadeau d’avant-dodo. Le cours d’eau, intitulé »douche » pour la fin de semaine, souriait aussi à ceux et à celles qui osaient s’en approcher. J’admets avoir tout de même fait chauffer un peu d’eau, vers vingt-deux heures, histoire de sentir la chaleur autrement.
Prise deux ou nouveau départ, logé dans le creux du samedi matin. À neuf heures, nous étions nombreux à embarquer à bord des véhicules mécanisés qui nous conduisaient quelque part. Pas de ligne, cette fois, mais des cônes qui indiquaient le couloir pour nous rendre à la première montée. J’en avais une mémoire et j’avais envie de la redécouvrir. De l’inspirer et de l’expirer. Comme toutes celles qui suivraient. Single track, single track, single track: de quoi faire saliver tous les passionnés de la course en sentier. Je buvais le rythme avec ces pas qui me permettaient de danser dans la mousse, entre les courbes, au-delà des branches et en travers des cours d’eau. Parfois suivie par d’autres paires de pieds, mais plus longuement seule dans la grandeur sauvage, j’ai écouté. Là encore, le temps semblait passer vite, presque trop vite. De magnifiques points de vue. Un ou deux embranchements délicats et beaucoup, beaucoup de végétation verdoyante, épineuse ou feuillue. Trente huit kilomètres passés pour mener au lit de la rivière, celui dont j’avais rêvé pendant ces quelques heures, assez humides d’ailleurs! Les jambes plantées dans l’eau, je me suis fait l’impression d’y tenir, comme un flamant rose, à la différence que j’oscillais d’une patte à l’autre…jusqu’à ce que j’ose m’y plonger au complet. Le constat: la douche, en cet après-midi-là, s’était révélée beaucoup plus froide que je ne l’avais imaginée, mais ça faisait vraiment du bien. J’ai demandé à un petit kayakiste s’il accepterait de me faire « un lift » jusqu’au rivage, cependant, son embarcation étant plus petite que moi-même, nous nous sommes contentés de rire. Et je suis repartie, ragaillardie, le sourire aux lèvres, le coeur plus léger qu’à mon arrivée, le jour précédent. Après avoir partagé un repas avec une troupe de coureurs de mon patelin, tous férus de l’aventure, je me suis laissée gagnée par le sommeil, au son de la pluie tambourinant sur les parois de ma tente. J’avais promis aux enfants de valider l’imperméabilité de cette dernière. La nuit en faisait foi. Une chance!
Mon cadran s’était permis de sonner au petit matin. L’appel de la préparation et des petits besoins d’avant course était une priorité alors même que j’avais réalisé que mes sandales baignaient dans l’eau…à l’extérieur de la tente. Les squish, squish avançaient discrètement, avec les minutes, vers mes vêtements, vers mes chaussures, la bouteille d’eau, la cafetière, le réchaud. À six heure quarante-cinq, j’avais enfilé ma veste d’hydratation et je marchais en direction de la route sablonneuse qui menait à la navette. J’avais hâte de découvrir une nouvelle portion de sentier. De pouvoir descendre ces lignes tortueuses, celles-là même qui, règle générale, se trouvaient exclusivement consacrées aux vélos de montagnes (et à leurs conducteurs/trices). Au débarquement de la navette, nous avions près de dix minutes pour nous retrouver près de l’entrée du sentier. Les mots de Simon allaient souffler le départ, avec nos sourires, plus ou moins crispés selon les visages auxquels ils s’accrochaient. Il y avait peut-être aussi un peu d’appréhension dans l’air. J’ai senti la venue de mon habituel round d’anxiété. Cette fois, par contre, il se passait quelque chose de différent: je n’avais encore aucune envie de m’éclater et je souhaitais, surtout, pouvoir être à l’écoute des sensations qui me parcouraient, des réactions que pouvait avoir mon corps. L’attention se déplaçait tranquillement; focus. La respiration se faisait courte? Focus. Les émotions s’entremêlaient? Focus. Tout semblait se délier comme les pétales d’une fleur qui s’ouvre. Les ponceaux se succédaient. Les pentes se présentaient avec un dénivelé positif ou négatif, suivies de marres boueuses, puis de rochers tatoués par la verdure. Le long du parcours, les coureurs se multipliaient car nous croisions ceux et celles qui avaient pris le départ du vingt-et-un kilomètres, une heure trente après le nôtre. Partage d’encouragements, de câlins, de tapes sur l’épaule à mes collègues, rencontrés ici et là. J’avais l’impression que tout se passait encore plus rapidement et c’est avec surprise que je me suis retrouvée, dévalant la pente qui menait à l’arrivée, aux côtés du valeureux Michel, alors tout près du but, puis d’une dame à qui je me suis adressée à grands renforts de poussées et de »allez, on arrive »! Poussée à deux = beau sprint + arrivée en force. De l’or en barre.
En ce dimanche, après avoir salué la rivière et savouré les moments d’émotions partagés avec les amis, j’ai plié bagages. Un instant, j’ai cru que la voiture refusait de quitter les lieux, mais un couple nous a sauvées, elle et moi. En fait, moi surtout, car je ne savais pas que la voiture, qu’on m’avait prêtée, ne démarrait qu’avec un coup de pédale. Il ne s’agissait pas d’un faux départ, mais bien d’un départ où la solitude m’avait faussé compagnie. Curieusement, je me sentais rassemblée. Il s’était encore passé quelque chose. Alors, en fin de journée, post Trans Vallée, nous allions finalement rouler comme j’avais couru: à bras ouverts. Parce que c’est au rythme de la nature qu’on finit toujours par fleurir. Par guérir aussi. C’est inévitable.
Merci à Anne, pour la voiture, pour les rires, pour toutes les conversations délirantes et sérieuses aussi. Merci à Annie, à Josée et Sophie, Carmen et Alain, Michel et Jocelyne, François et sa famille, à Bernice ainsi que tous ceux et celles qui étaient dans les parages, qui ont marché, couru et profité de ce formidable weekend.
Merci à Marie-Michelle Gagnon, à Jean et Marie-Josée, à Simon, à la voix au micro, à tous les bénévoles, aux physios et aux partenaires. Nous sommes choyés.
Merci à Monique et à 1,2,3 Santé pour les Rémis, ces craquelins savoureux!
Bravo à tous les coureurs et coureuses ayant relevé le défi. À ceux de chez nous et de partout. Je vous admire!
À tout de suite,
Isabelle
3e Femme, Transvallée X
Crédit photo: Bernice Payeur Poitras
A little drive to the North
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