Récidiver autour du Lac Memphrémagog – Recidivism around the Lake

LA VEILLE

Dimanche, 21 :30.  Allongée sous ma couette, j’entends la pluie qui commence à tambouriner, tout près, dehors. Mon chat ronronne, la tête sur l’oreiller qui avoisine le mien.   Mes filles ont déserté la maison pour vingt-quatre heures, histoire de se réveiller un peu plus tard que moi.  Un calme impromptu s’installe et je me demande si j’ai vraiment envie de faire ça. Le temps s’annonçait automnal et on prévoyait un déluge.  Éventuellement, l’endormissement me gagne et la nuit disparaît…jusquà ce que la pluie me réveille, vers trois heures du matin.

J’ai pris mon élan avec la bénédiction des sages.  Alors que le jour dormait encore, à quatre heures cinquante am, je leur avais affirmé qu’il ferait soleil vers dix-neuf heures, pour la dernière section de route qu’il me resterait à parcourir. Cinq heures approchaient, en plein Magog, et j’avais le calme au coeur.   Et, dans la tête, cent vingt-trois kilomètres à parcourir au pas de course. Apparus dans le stationnement de l’école, Noémie, Michel et Jocelyne souriaient, eux aussi.  Leur passage s’affichait comme le coup d’envoi de cette journée.  Ce matin-là, je devenais récidiviste : j’entreprenais, pour une seconde fois, en solo, le Tour du Lac Memphrémagog et de ses valons… de ses nombreux, ses renommés valons…

LE DÉPART

Le départ est donné sans attente.  L’été avait été long.  La guérison aussi.  Au fil des derniers jours, plusieurs collègues et amis se sont proposés en vue de m’accompagner, le temps d’une ou de quelques sections.  La météo penche dans la balance (mais pas dans ma tête). Plusieurs ont maintenu l’idée de s’alterner, bien habillés, prêts à aller de l’avant, vent devant.  Je m’étais lancée à nouveau dans ce projet en me disant qu’il ne me fallait que le matériel nécessaire pour progresser au cours de la journée et, au besoin, quelques dollars en poche.  L’arrivée d’accompagnateurs – « pacers »- s’était présentée comme la cerise sur le sundae.  Je n’ai jamais trop aimé faire l’étalage de ce que j’envisage et de ce que je prépare, mais le fait de me sentir, encore une fois, aussi bien entourée, me fait réaliser à quel point il est précieux et important aussi de communiquer avec les autres.  De partager ce que l’on vit.  De s’exprimer, simplement et franchement.  De demander.  Chacun des kilomètres franchis me rappelle à la gratitude que je ressens face à la personne qui roule à mes côtés.  L’an dernier, je fermais une boucle, un chemin.  Cette année, j’ouvre et je nettoie, avec la pluie.  Il y a, quelque part en moi, une sensation de joie.  Quelque chose de différent.

LES VALLONS

La route monte et descend, puis elle remonte et redescend.  Les sections où le sol se fait plat sont plutôt rares.  À chacun des points de contrôle, un message est envoyé pour annoncer aux autres la progression le long de ce trajet.  Le douanier, au premier poste frontalier, semble assez préoccupé par le fait que je sois entrain de courir sous la pluie.  Il ne comprend pas.  Alors on s’explique: les causes que l’on soutient, le Relais pour la Fondation (Christian Vachon), l’organisme Je Vis (prévention du suicide) et  la préparation pour la Diagonale des Fous (Grand Raid de la Réunion).  Est-ce qu’on recueille des fonds?  Oui, mais pas là, « on the spot ».  Le passage se fait assez rapidement, donc, et je repars avec Mariane, une inestimable cycliste au grand coeur.  Plusieurs pensent et se disent que les coureurs en sentier ne parcourent pas les routes.  Chez nous, routes et sentiers font leurs sillons les uns à côté des autres. Certaines routes ont d’ailleurs l’aspect de larges pistes sur lesquelles on peut aisément se retrouver face à face avec un chevreuil, un orignal, des marmottes ou des dindons sauvages. Alors, autant que la course est un entraînement, c’est aussi une période de méditation, un moment de présence, une façon de porter un message ou une cause.  Enfin, il s’agit de bien d’autres choses encore et comme je me plais à le dire, il y a toujours une bonne raison pour courir.  Aussi, coureurs de sentiers et coureurs de route entremêlent leurs pedigrees assez régulièrement dans le coin.  Aujourd’hui, on ajoute à la liste les limaces.  Elles se glissent, par centaines, sur l’accotement, rendant parfois ma démarche assez périlleuse, car je refuse de les écraser.  La pluie se fait dense, puis se disperse avec le vent.  Je navigue dans une zone qui me demande d’être présente à mon corps.  Les montées se poursuivent.

QUAND ÇA CREUSE

…Et on redescend.  Certains endroits avivent ma mémoire plus que d’autres et je prends le pouls de ce nouveau moment en mâchouillant mes petits saucissons. Le Vermont est un lieu où l’on a l’impression que le temps passe rapidement, même sous la pluie.  J’ai une pensée pour tous ces gens qui se présentent, ici et là, sur le parcours et qui sourient malgré la grisaille.  Leur présence me fait l’effet d’un incroyable cadeau.  Le sentiment de faire partie de quelque chose de bien plus grand que moi revient en boucle.  Au-delà du défi sportif, les pensées se bousculent et une joie éclate, comme un sac de grains de pop corn, à répétition. Une petite douleur apparaît au-dessus de ma cheville.  Ça tiraille, mais je gère.  J’y accorde beaucoup d’attention et je ralentis, histoire de lui offrir un peu de latitude.  Courir sans dossard est une aventure qui offre un air particulier et qui permet peut-être un peu d’être à l’écoute et présent autrement.  Gestion du temps, autonomie, anticipation et imprévus nous appartiennent.  C’est un espace que j’apprécie.  Il comporte son lot de risques, mais aussi de belles surprises. Rapidement, le territoire canadien s’annonce le long du sentier. L’entrée au Canada se fait par la douane de Bee Bee, un petit patelin aux rues en bosses.  C’est toujours excitant même si, dans les faits, nous ne sommes pas allées bien loin. Cette fois, les véhiculent attendent à la queue-leu-leu en vue de franchir le poste frontalier.  Les douaniers sont efficaces.  Le temps avance et, tranquillement, on se rapproche de la barrière.  Le passage s’effectue éventuellement et je peux rejoindre Carmen, Alain et Sylvie, qui m’attendent avec le sac de ravitaillement que je leur avais confié.  Massage rapide, vêtements secs et c’est un départ pour reprendre le chemin avec la pluie, les électrolytes et le sourire.  Tout y est.  Les jambes et le coeur suivent.  Mon accompagnatrice à vélo semble s’être évanouie.  Puis, comme une surprise, les couleurs de son manteau se dessinent alors que je me retourne, quelques kilomètres plus loin; Sylvie me suit, aussi discrète qu’une souris.

FITCH BAY ET LA SORCIÈRE

La maison de la sorcière, dans le coin de Fitch Bay, m’apparaît comme un point de repère qui titille le mental. Pas pour cette immense girouette noire, qui trône sur son balai, mais plutôt parce que j’anticipe, depuis un mois, la côte qui suit, lors de la prochaine section.  Elle n’a pourtant rien d’exceptionnel et ne se présente pas comme la montée la plus salée de la journée, mais elle trotte dans mes pensées.  Elle menace la petite douleur qui s’élance, ponctuellement.  Mon ancrage, à ce moment, se présente comme la vision de mes deux grandes filles, qui, pour une première, seront postées à deux point deux kilomètres de l’arrivée.  Elles seront accompagnée d’une amie et de leur mère.  Je pense à elles et je me dis que j’ai besoin de me rendre à ce point, au moulin, à Magog.  J’ai envie de les voir, de mettre mes lunettes de soleil parce qu’il se pointera au travers des nuages et qu’il éteindra la pluie.  C’est certain.  Hors de tout doute.  Un creux se fait ressentir et après un court arrêt, je repars, cette fois, entourée de Julie-Gil, de Daniel et de Carmen, à vélo.  Le sucre devient mon allié.  Pâte de goyave et miel se substituent aux saucissons.  Les pensées qui défilent me rappellent à quel point j’aime mes enfants, mes amis, mes collègues et mes jambes.  On est là, tous trempés (les vêtements secs auront eu une vertu éphémère), le coeur rempli de cette passion pour le mouvement, pour la course, pour le défi et pour toutes les causes qui nous tiennent au ventre.  À l’approche de la côte redoutée, je me sens vannée.  Ce sera la seule pente pendant laquelle je me permettrai de marcher pendant une ou deux minutes. Juste pour lui donner raison.  Juste parce que j’ai eu peur, avant même de l’avoir entamée.  Juste un peu, enfin, parce que je crois que j’ai ressenti l’urgence d’écouter mon besoin de douceur.  C’est un moment salutaire.  Cracher un saucisson pour manger une bouchée de miel durcit, encore, avec une touche de caféine.  La fin de journée approche.

LE RETOUR DES SAGES

On arrive, avec la lumière du jour, au poste de pompier, prochain point de contrôle (officieux, en l’occurence).  Michel et Jocelyne, mes sages et anges de quatre heures cinquante am, sont de retour, après une excursion à Rigaud, apportant avec eux le soleil de l’aurore.  C’est un moment particulier.  Un endroit, aussi, où tout semble devenir un peu festif, comme l’idée de l’approche de la fin du parcours. Chacun des moments d’une course est important, bien entendu et celui-là n’y fait pas exception.  L’an dernier, ce moment marquait le passage à la frontale et aux vestes phosphorescentes.  Aujourd’hui, la lumière, qui fait fondre les nuages, a gagné. Pour ce qui est de la veste, elle m’a tenu compagnie, toute la journée, compte tenu de la visibilité réduite en temps de déluge.  Mes pieds touchent le sol un peu moins légèrement et je sens bien que mes chaussures, elles, ont beaucoup voyagé.  Je me promets que cette sortie sera leur dernière; leur usure me préoccupe…une chaussure est aussi précieuse qu’un trésor.  Je peux comprendre, alors que mes pieds martèlent le sol, que le choix de leur offrir cette balade n’était peut-être pas le meilleur (j’en souffrirai quelque peu les jours suivants, alors que mon pied droit aura la grosseur d’une papaye)!  Enfin, l’expérience m’apprend, encore une fois.  Mon sourire avance tout de même avec ceux et celles qui sont venus m’accompagner pour la durée des deux dernières sections.  Je lève constamment les yeux au ciel, heureuse de sentir la chaleur et de percevoir les jaunes projetés par le soleil.  Une bénédiction en or.  Puis, très vite, on arrive au Moulin.

ENFANTS = ÉMOTION À L’HORIZON

Le Moulin, c’est l’endroit où toutes les équipes, lors du Relais Memphrémagog, se regroupent afin de compléter les derniers deux point deux kilomètres.  Tous sont bienvenus et les pas s’ajustent aux membres de chacun des groupes.  Alors qu’on y arrive, je savoure le fait que l’organisation de cette journée, sa préparation et la façon d’établir les points de rencontre aient été concrétisés avec simplicité. L’équipe est restreinte et pourtant, elle me semble tellement bien fournie.  Le stationnement désigné pour s’élancer vers les derniers kilomètres se dessine.  L’obscurité est encore absente.  Je peux entendre, tout près, des sifflements et des voix qui me sont familiers Puis des visages se joignent aux voix.  J’entrevois quelques amis, des élèves, des passants.  Le visage de chacune de mes filles m’apparaît enfin et je réalise à quel point elles ont grandi.  Je rêve, depuis déjà quelques années, d’avoir l’opportunité de compléter un trajet avec elles. Quand un rêve prend forme, j’ai souvent (ou presque toujours) l’impression de vivre un moment un peu surréaliste.  La gratitude se fait sentir, dans ma gorge, comme une marée.  Mes yeux s’embuent.  Les enfants, eux, semblent être heureux de pouvoir courir devant.  La joie m’apparaît comme un fil qui relie tous les hier à aujourd’hui.  C’est peut-être ça aussi, le moment présent.

L’école secondaire de la Ruche est maintenant à portée de vue.  J’atteins les cent vingt-trois kilomètres qui bouclent le trajet. Cent-vingt trois kilomètres pendant lesquels j’aurai été accompagnée par des collègues, des amis, par des coureurs et des coureuses côtoyés en forêt.  Cent vingt-trois kilomètres que j’aurai complétés entourée de mes enfants, de leurs amis et de sourires excités.  Cette année aura été bien différente.  Récidiver, dans ce cas, ne signifie pas revivre la même expérience, mais bien retracer le parcours autrement.  Ça fait partie de l’aventure.  Et de l’émotion.  C’est ce qui m’interpelle, toujours.  Droit devant.

Un « gigantissime » merci à Noémie, à Michel et Jocelyne, à Normand, à Roxanne, à Marianne, à Sylvie, à Carmen et Alain, Julie-Gil et Daniel, à Isabelle M., à mes deux filles, Izna et Arielle ainsi qu’à leurs amis, Jade, Charles, à Joanne M. et les petits,  à Marie-Josée, à Monique et les Rémis.  Merci à Chantale pour son soutien et son aide constante, merci à Justin pour son travails exceptionnel et à Maya pour l’accompagnement hors pair en soins!  Merci à tous et à toutes.  

#La Cliniqueducoureur

#Guerriers du Grand Raid

#Je Vis

#Fondation Christian Vachon

Recidivism around the Lake

(English version will follow)

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