Se questionner quant aux messages que nous communiquons.
Lorsque nous créons du contenu, lorsque nous publions, partageons et communiquons, nous faisons le choix de mettre de l’avant des idées, des valeurs, des pensées, des désirs, etc.
Prenons-nous soin de nous questionner? Que ferons-nous pour donner suite à ce que nous avançons? De quelle façon contribuerons-nous à améliorer les choses (ou à les empirer, c’est selon)? Qu’est-ce que le message que nous partageons apporte au monde, à notre communauté, à ceux et celles que nous souhaitons rejoindre?
Pour aller un peu plus loin:
-Faisons-nous acte de bienveillance, de compassion, d’empathie envers l’autre (les autres)?
-Avons-nous l’intention de jouer un rôle qui puisse faire avancer les choses en lien avec ce dont il est question?
-Qu’offrons-nous au monde, ce faisant?
-Quel est le réel message que nous souhaitons faire circuler?
-De quelle façon nous relions-nous au monde?
-Qu’aimerait-on que les gens retiennent?
Et enfin:
Qu’est-ce qui compte?
Qu’est-ce qui compte vraiment?
Quel est le sens du message que nous contribuons à mettre en circulation?
Photo: A.A.B.
En tant qu’individu, en tant que femme et en tant que mère, je choisis de communiquer. Je choisis de parler, d’écrire et de courir avec le souhait de contribuer à briser les silences, les tabous et la conscience qu’il y a encore beaucoup à faire.
L’Ultra Run Raramuri est une course regroupant une trentaine de coureurs expérimentés sur un parcours totalisant près de 200km, dans la région des Barrancas Del Cobre, dans l’état de Chihuahua, au Mexique. Quinze d’entre eux proviennent de la tribu des Tarahumaras, douze autres de l’Europe et trois du Canada. Sa complexité tient de l’atitude (2400 mètres en moyenne), de la chaleur (40 degrés Celsius au thermomètre), de son dénivelé (10 000 mètres en positif seulement) ainsi que la nécessité de parcourir son trajet en autonomie sous la barre des soixante heures.
Introspection pré-départ
Entreprendre une aventure peut s’apparenter au fait de tracer le chemin d’une vie: on en revient inévitablement transformé, pleinement connecté à son coeur, à tous les messages que l’Univers et lui nous envoient, comme aux chemins des possibles. Ceux auxquels nous faisons peut-être la sourde oreille lorsque la marée du quotidien va et vient. Le périple qui vient de se terminer n’y fait pas exception.
Loger chez Lolita, dans la région des Barrancas Del Cobre, au Mexique, après avoir atteri à Chihuahua, nous enveloppe à quelques 2400 mètres d’altitude. Le petit groupe que nous constituons se complète avec l’arrivée de treize coureurs Raramuris et c’est en trois langues (français, anglais et espagnol) que nous assistons à la rencontre d’avant-course. Ce qui nous attend: quelques 190 kilomètres à parcourir en altitude et en zones semi désertiques, un tracé où il faut être en mesure de bien naviguer (déceler le parcours à vue), 40 degrés Celcius au thermomètre (ressenti: bien davantage), un maximum de 60 heures pour compléter le trajet et une gestion de course principalement en autonomie.
Celui ou celle qui s’apprête à courir héberge en son sein des attentes, des anticipations, des appréhensions, mais aussi quelques espoirs, accompagnés de désirs, à la veille d’un départ. L’opportunité de nous côtoyer les uns les autres et de partager un moment unique amplifie la résonnance, comme la portée de ce qui nous tient, j’en suis certaine. Chacun semble prêt à composer avec ce qui se dessine. J’éprouve une certaine fébrilité, à quelques heures d’une nouvelle journée. Les sacs ont été mis en circulation. Je n’ai pas de montre qui affiche le tracé et mes chaussures d’ultra ont été égarées pendant le vol d’avion. Convaincue que ça ira, je fais l’éloge de la paire qui m’accompagnait dans la cabine des passagers, en transport.
Partir entre deux souffles
Notre départ me paraît festif et bien que l’anxiété et/ou l’effet de l’altitude se ressentent au cours des premiers kilomètres parcourus, j’ai le sourire aux lèvres. Je me suis tellement demandé si j’arriverais à y être que ce moment se vit tel un rêve éveillé. Nous n’avons eu qu’une journée d’acclimatation avant de nous élancer, mais qu’à cela ne tienne: c’est ici et maintenant que les ailes s’ouvrent. L’anxiété, puis la tête fragile font place à l’amorce de descentes et de montées qui s’alterneront pendant des dizaines de kilomètres. Dans un moment d’hébétude, je réalise que nous avons entraîné avec nous trois des cabots du village. Je cours en compagnie de Jean-Philippe, empruntant des tracés qui ne font pas partie du trajet. Quelques ascensions improbables (parois rocheuses) nous demandent un temps précieux et je m’étonne, chaque fois, de voir la petite troupe nous suivre avec autant d’enthousiasme.
Au détour d’une zone très touffue, Jean-Philippe n’est plus visible. Je lance quelques indications en souhaitant qu’il puisse trouver le bon embranchement et je poursuis rapidement, car le besoin en eau est criant. L’arrivée au premier point de contrôle se fait en catimini. Une petite zone dégagée, où se trouvent quelques membres de l’organisations, quelques bénévoles et mon sac de provisions, m’offre un moment de ressourcement avant de repartir, repas en main, pour la suite. Dix minutes suffiront avant que je ne m’égare à nouveau. Les chiens semblent m’indiquer où aller et c’est avec leur flair que je finis par retrouver la trace qu’il convient d’emprunter. En chemin vers les canyons, je recroise éventuellement Jean-Philippe, lequel semble avoir pris la mauvaise direction. Nous poursuivons en équipe et c’est dans cette veine, avec une chaleur assez intense, que nous parcourons le tracé jusqu’au pied des canyons, le cours d’eau tant attendu. Dans un espace où l’eau se fait rare, toute source pure m’apparait comme un miracle. Nous débouchons sur les lieux et rejoignons le cours d’eau pour remplir nos gourdes, mouiller nos vêtements, puis laisser les chiens se baigner. Vaches et chèvres de montagne trouvent aussi le chemin de l’eau. Le débit es faible, mais sa fraîcheur, comme l’hydratation qu’elle nous offre, sont salvateurs. Au-devant, Olivia, une autre coureuse du groupe, est en train de se rafraîchir. Nous entamons bientôt la traversée en sa compagnie. Une nouvelle ascension se dessine et nous savons qu’elle risque de s’avérer corsée. Bon point: le jour se fatigue, ce qui nous permet de bénéficier d’une atmosphère plus agréable. À six- trois humains et trois chiens – nous gravirons donc le cayons jusqu’au deuxième point de contrôle.
Du deuxième au troisième point de contrôle
Nous croisons, à proximité du sommet, Vanessa et Jérôme. Là haut, le village est endormi, mais l’un des bâtiments laisse filtrer la lumière de même que le son de quelques voix. Les chiens s’affaissent à la porte et nous entrons pour y retrouver Thierry, un autre coureur, malade. Jean-Philippe choisis de tenter le sommeil alors que je repars avec Olivia, repue, dans la presque fraîcheur de la nuit. Le sentier qui nous conduit au PC3 est parsemé de cactus et la descente me fait sourire. J’y perds pratiquement ma frontale, accrochée aux extensions de l’un d’entre eux. Nous croisons ponctuellement un groupe de quatre à six coureurs Raramuris, parfois allongés, parfois assis, souffrant de malaises et de fatigue. L’ascension s’avère longue et ardue, compte tenu de l’heure avancée. Au petit matin, l’arrivée au PC3 me fait soupirer. L’un des chiens nous suit encore, ce qui me sidère, et je lui offre une barre protéinée avant de demander à l’équipe du PC de lui remettre un bol d’eau. Nous nous assoyons, puis nous allongeons brièvement dans la maison d’ainés de la communauté, encore endormis à même l’unique lit sur pattes de la pièce, tout habillés. Je n’ai plus trop idée du temps qui passe, ni de l’état de mes pieds (j’ai décidé de nier la douleur qui s’en va croissante). Je refuse d’ailleurs que l’on m’enlève mes souliers. Nous repartons avec la lumière du jour. Le rythme est lent.
Entre le PC3 et le PC5
Naviguer entre le PC3 et le PC4 est une histoire de grande chaleur, encore une fois. Chaque petite flaque d’eau stagnante est un prétexte pour inviter le chien qui nous suit encore à y plonger. Éventuellement, je constate qu’il s’arrête chaque fois qu’une zone d’ombre se présente devant nous. Le sentier devient une route carrossable où les véhicules passent très rapidement. Je valide le trajet avec les informations que j’ai en poche, puis la carte logée sur mon téléphone cellulaire. Nous approchons du lieu d’arrêt. Quelques habitant nous saluent, ici et là, le long du trajet et nous achetons un jus frais au passage. À ce stade, notre compagnon canin refuse de boire et sursaute quand je l’asperge. L’arrivée au PC4 se fait en catimini (urgence toilette). Le plan: laisser le chien au repos et repartir en douce. Nous avons parcouru plus de 100 km avec lui et j’espère, de tout coeur, qu’il ne tentera pas de nous suivre plus loin. Repartir est synonyme d’entreprendre une bonne portion de route, de terre d’abord et bétonnée ensuite. La chaleur en est à son point culminant de la journée. La douleur ressentie au contact de mes pieds sur le sol aussi. J’ai la confirmation que les ampoules sont nombreuses. Une à une, elles se mettent à exploser et me font figer un instant. Olivia avance en ligne droite ou enfin, en suivant les courbes alors que j’ai l’impression de sautiller de tous les côtés, en tordant mes pieds, pour laisser la brûlure passer lorsqu’elle m’envahit. Il m’arrive de prendre du retard en tentant de panser temporairement l’un ou l’autre et je reprends service en clopinant pour avancer vers l’espoir de zones ombragées.
Entre les PC 4 et 5, les surfaces d’eau sont quasi inexistantes. Notre seule opportunité de faire un remplissage et de nous rafraichir un peu est l’atteinte de l’embranchement appelé « El Churro », où un lac s’étend. Peu avant celui-ci, Olivia n’en peut plus et nous nous allongeons quelques minutes en bord de route. Pendant qu’elle ronfle, je jette un oeil à mes pieds et je me demande s’il ne vaudrait pas mieux poursuivre sans mes chaussures, idée réfutée en songeant aux déchets, aux scorpions, aux araignées et autres présents au sol. Nous repartons vers El Churro avec ma carte, car je suis déterminée à franchir les kilomètres qui nous sortirons de la route pour nous engager dans ce qui ressemble à un passage plus rural. Le lac apparaît, avec ses déchets, ses moisissures et autres. Je choisis de ne pas prendre le risque de boire cette eau, ce qui signifie gérer un seuil critique de déshydratation. Après avoir parcouru tout ce chemin sans trop boire, l’une des seules explications qui me vienne en ce qui concerne ma capacité à poursuivre avec presque rien se relie au supplément consommé (les gels Spark nutrition) et je me dis qu’ils contiennent vraiment quelque chose de magique.
Les massifs rocheux impressionnent. Le jour tombe à nouveau et le terrain se fait plus vivant. Éventuellement, mes yeux se referment d’eux-mêmes, ce qui me porte à m’allonger brièvement, peu de temps après avoir croisé un scorpion. Nous repartons positivement vers le haut. Je ne sais pas s’il est question d’heures ou de minutes, mes yeux s’ouvrant et se refermant sans que j’arrive vraiment à les contrôler, mais je constate que la route se peuple de formes de vie qui n’existent pas vraiment. Je penche inconsciemment d’un côté comme de l’autre et Olivia semble affectée de la même tendance. Nous avançons, sans relâche. Éventuellement, de réelles lumières apparaissent au loin. Il me semble voir passer une éternité avant d’arriver au PC5, en pleine nuit.
Pit stop et départ pour décrocher le PC 6, puis la finale
L’arrêt au PC 5 est bref, car il y fait très froid. Une buche auprès du feu, quelques nouilles en boite, les restes d’un sac de ravitaillement bouffé par les chiens du village (ils ont goûté à tous les sacs) et un café plus tard, nous entamons l’avant-dernière portion. Surprise: un géant noir se met à nous suivre, la queue ballotant dans les airs. Ses yeux brillent et il me fait l’impression d’un ange. Quoi que je lui dise, il refuse de rebrousser chemin. Nous continuons donc à trois, le vent dans les voiles et les cuisses glacées par le froid. Cette portions de parcours me paraît interminable, probablement en raison de la température, de mes attentes, de l’état de mes pieds et du fait que je sais qu’il s’agit du dernier point avant l’arrivée. Déboucher sur deux petites tentes, auxquelles est accolé un feu qu’entretiennent une dame vêtue de ses habits traditionnels colorés et sa fille, sourire aux lèvres, constitue un bel accueil. Le chien et moi mangeons peu; Olivia hérite donc d’une double portion de nouilles. Nous repartons d’une traite vers notre dernier objectif et je me sens confiante que le trajet sera bouclé lorsque se lèvera la troisième journée, d’ici quelques heures.
Malgré la douleur persistante, je m’accroche à l’euphorie du sentiment de proximité et nous gambadons tous trois sur le tracé, entre nature et ville, puis sur la voie ferrée. Je sautille en observant le chien avancer avec grâce et Olivier cheminer de façon déterminée. J’ai confiance. Et puis le jour tourne. J’ai mal évalué l’étendue du terrain qu’il nous reste à parcourir. La chaleur revient lentement, mais sûrement, et Olivia semble envahie par le découragement, prostrée au soleil. À ce moment, je me demande si elle choisira d’abandonner ou de poursuivre. J’ai la sensation qu’il nous faut monter encore, alors j’attends. Accompagnée de trois enfants, elle, moi et le chien prenons le petit chemin qui nous conduit plus haut. Nous consultons nos cartes à tour de rôle, puis je prends les devants, mue par un désir de compléter le trajet sans erreur supplémentaire (à nous deux, nous en avons commis quelques-unes). Le soleil plombe, nos gourdes sont pratiquement vides et nous ne mangeons à peu près plus. Ne laissant aucune place au doute et à l’hésitation, j’avance. Je n’ai aucune idée de l’endroit où nous déboucherons, mais j’ai décidé d’avoir confiance et de l’imaginer comme on nous l’a décrit. Pour nous trois.
Mon téléphone affiche une mention de surchauffe à l’instant précis où nous croisons un caméraman et un bénévole à l’intersection de ce qui semble être l’un des sentiers du village. Je cherche la direction à prendre et on me pointe, en me tendant un tube d’eau, le trajet. C’est ce qu’on appelle un « go » sans concession. Olivia boit aussi, le chien est toujours vivant et nous plongeons vers la fin comme deux guerrières ou survivantes, c’est selon, bien conscientes que les barrières horaires estimées ont largement été transgressées, mais heureuses d’arriver enfin à la bannière de fin de parcours. Franchir le fil d’arrivée me permet d’imaginer ce que vivent les raideurs lorsqu’ils complètent une aventure en autonomie, en s’orientant par eux-mêmes, en zone inconnue. Nous l’avons fait. Envers et contre tout
Photo: Théo Schmitt
Partager quelques accolades, m’asseoir et découvrir que j’ai encore deux pieds font partie des joies qui suivent le cours des choses. En répondant aux questions de ceux qui m’entourent, je réalise que je me sens accomplie malgré tout, même si je n’ai pas réussi à parcourir le trajet tel que je l’aurais voulu. L’aventure me nourrit. Tous trois au repos, cabot inclus, nous profitons de l’instant. Je sais bien, en observant au-dehors, tout autour, comme au-dedans, que cette histoire m’aura transformée. Que son oeuvre est à peine entamée. Il y a tant à raconter. Et même si j’ai pensé, quelques fois, ne plus jamais courir, je sais pertinemment que j’ai envie d’explorer encore, de découvrir à nouveau. Je croyais avoir compris ce que représentait l’ancrage depuis un petit moment, pourtant, en cet instant précis, je ressens qu’il s’agit de beaucoup, beaucoup plus que ce que je pouvais concevoir. Ressentir la Terre, si grande et si petite à la fois, m’offre un cadeau inouï: celui de perspectives et d’histoires que je n’avais pas encore devinées.
Le géant noir au repos
Constats:
1- J’ai choisi l’aventure humaine – et animale – avant la performance et je l’ai fait de façon 100% assumée.
2- Même si je m’étais entraînée à la chaleur, au Québec, je n’étais pas prête à un écart de température de près de 50 degrés.
3- J’ai encore besoin d’entraînement en altitude.
4-Expérience ultra concluante en ce qui concerne ma stratégie alimentaire, ce qui est exceptionnel en soit.
5-Je me demandais, dernièrement, s’il ne vaudrait pas mieux cesser de courir pendant un certain temps, compte tenu de ma condition, mais il semble que j’aie encore beaucoup à vivre en ce domaine!
6- Voyager pour partir à l’aventure fait partie de mes essentiels.
*À suivre et à découvrir plus amplement dans le cadre d’un ouvrage consacré entre autres à ce périple.
**Un merci cosmique à tous les membres du groupe:
L’ensemble des participants: la quinzaine de coureurs Raramuris, dont Celestino et ses aînés, Vanessa Moralès, Julien Chorier, Christophe Dain, Jérôme Chauvin, Olivia Durocher, Jean-Philippe Lefief, Thierry et Isabelle Corbarieu, Théo Schmitt, Pavel Panloncy, Johan Steen, Gérard Segui, Bernard Monin, Anne Genest et Joan Roch.
Les membres de l’organisation et leurs collègues: Jean-François Tantin, Romain Granjon, Simon Guignard, Paul BW, Octavio, Chouille, Rafaela, les ambulanciers, Lolita et sa famille, nos chauffeurs enflammés.
***Et merci enfin à tous ceux et celles qui ont contribué à faire de cette aventure une réalité: Marianne, Chantale, Izna, Arielle, Linda, Jean-Paul, Josée, Bastien, les chats de la maison. C’était tout un défi en soit!