À vol d’oiseau
Entre Montréal et Paris, le temps file. Les lucarnes sont fermées et je les contemple tour à tour en me demandant à quoi ressemblent les portions de ciel qu’elles dissimulent. Quelques jours me sépareront de la routine familiale, allégeant, du coup, le poids des réflexions. D’une lucarne à mes yeux ne se trace qu’une courte distance. Entre Paris et la Réunion, l’écran de l’ordinateur me rappelle à mes moutons et je bosse alors que mes yeux vacillent. Café et croissants m’accompagnent, sous la lumière tamisée de nos espaces, et je me laisse aller à penser à cette île où j’ai tant rêvé de pouvoir encore poser les pieds.
L’Ile intense
L’aéroport respire la vie. Les chants d’oiseau se font écho et mes lèvres esquissent un sourire. C’est un détail et pourtant, le son de la joie semble circuler de bec en bec. À la sortie, Line et Themy m’accueillent avec enthousiasme. Nous avons formé un petit groupe pour l’aventure. Scindé en deux en frais de répartition pour le logis, je cohabiterai avec Béatrice, Christian, Vero et Joffrey. Nous serons quatre à parcourir le trajet de la Diagonale (près de 170 kilomètres) et trois à emprunter celui de la Mascareigne (une soixantaine de kilomètres). L’époque des colocs en appartement étant passée depuis un bon moment, nous retrouver ensemble me fait l’effet d’un espace, déjà, assez enjoué, tout en apportant ses petits défis. Nous partageons un quotidien exceptionnel dans un espace d’exception, à quelques centaines de mètres de la plage. Travailler, courir, vivre ensemble font du bien, toujours nourris par les levers et les couchers de soleil réunionnais.
Chacun nourri son rêve au quotidien et c’est un peu ce qui nous rassemble ici.

Se réunir, en provenance de tous les coins du monde, à la Réunion. Du porche de la chambre d’hôtel, Sangé me raconte ce moment où il a choisi de quitter son village natal. Issu d’une famille de six enfants, responsables, tour à tour, de prendre soin l’un de l’autre alors que père et mère travaillaient dans les rizières, il tricote ses souvenirs en mots pour répondre à mes questions. La distance et l’émotion offrent un fil neutre, un fil qui permet de transmettre avec simplicité ce qui pourrait être si complexe à raconter. Perdre un membre de la famille, fuir la guerre civile, reprendre le chemin de l’école malgré les barrières, apprendre une autre langue, puis quitter le pays en quête d’un avenir à recréer.
La course est le ferment de son quotidien. Son oxygène.
Mes mains reposent sur mes cuisses pendant que j’observe les deux bracelets tout juste posés sur mes poignets: un rouge pour la navette et un jaune pour la Diagonale. Christian et Béatrice me partagent leurs prévisions, en termes de temps de parcours, afin que nous puissions nous retrouver à l’arrivée. Tous semblent fin prêts. Les encouragements et les souhaits se font écho, dans la voiture, jusqu’au point de chute de la navette. En prenant mes sacs de ravitaillement, je tourne la tête pour voir plusieurs autres coureurs venir s’installer au sol, sur le trottoir, histoire de patienter en position tout sauf debout pendant l’attente. L’autobus navette se présente comme une fleur en milieu de rue et nous embarque, direction St-Pierre. Dans la moiteur d’une soirée qui s’entame doucement, on nous dépose non loin du site de départ. Sacs en main, je marche le long d’une rue en observant mes congénères masculins s’arrêtant ici et là pour aller au petit coin. L’option coin de portail n’est pas envisageable dans mon cas…J’accélère le pas en vue de trouver, aussi rapidement que possible, un ilot toilette. Et c’est à sa sortie que j’entame le petit passage menant à l’entrée du site, peuplée de bénévoles et de tables d’inspection du matériel.
Une vague de visages connus va et vient pendant l’heure qui précède le départ: Anne et Sébastien, la sensation du jour, Casquette verte, Joffrey, Kelsey, Line et Themy et même Christophe, l’un de mes acolytes du Mexique. Les quelques minutes s’écoulant avant de me placer dans la zone qui m’est attitrée me trasmettent une ferveur et une excitation propices à sourire encore.
La Diagonale
En bordure de route, à St-Pierre, les chandails blancs et jaune se multiplient d’instant en instant. Une brise saline navigue entre les passants. Son odeur est douce et elle me guide vers le sas de départ. Ma mémoire cherche des souvenirs pouvant être accolés à chacun des moments qui se présentent. Trois ans plus tard, la sensation d’un départ unique ne s’estompe pas. Peut-être n’existe-t-il pas deux trajets semblables et ce, même si le coup d’envoi du soir marquera, dès 21 heures, la trentième édition du Grand Raid de la Réunion. J’ai choisi, pour une deuxième fois, de parcourir le tracé de la Diagonale des fous.
Trois ans déjà depuis que j’ai fait le vœu de remettre les pieds à l’Ile de la Réunion pour la parcourir à nouveau. Ce qui me paraissait alors très long s’évanouit dans l’instant et je me sens complètement enracinée à la réalité esquissée par ce nouveau départ. Près de 3000 coureurs font partie du lot et s’apprêtent à fouler les mêmes espaces, les racines, les rochers, les falaises. À traverser des lieux parfois semi-désertiques, parfois verdoyants. Cinq vagues se partagent le sas de départ et c’est dans la foulée l’une des autres que nous nous élançons. Lentement, les visages s’estompent dans le flot d’une respiration qui prend ses aises pour mieux ancrer un instant qui en accroche un autre.
Les minutes se passent et les passants se font de plus en plus bruyants, leurs mains se tendant vers nous en guise d’encouragement. La masse devient, au fil des kilomètres, un tableau de couleurs, de senteurs et de sons voués à donner, peut-être, des ailes aux raideurs. Le ventre me tiraille de plus en plus, comme saisie par une pression que je n’ai pas envie de ressentir. Prendre le pouls de ce que ressens, c’est accepter d’embrasser une expérience qui risque de ne pas être celle que j’anticipe, puisqu’une fois encore, les « données » inconnues et l’absence de certitudes font partie de l’ensemble.
Courir en bord de route, puis arriver rapidement au Domaine Vidot marque le premier point de passage. Pointage et remplissage se font avec efficacité et la reprise mène à un sentier que je reconnais. Apprécier fait partie de mes petits bonheurs, le souffle des coureurs qui m’entoure aussi, accompagnant le mien dans un effort de concentration. Le sentier monte et redescend comme une montagne russe, nous permettant d’offrir de petites poussées, puis de relancer pour aller de l’avant. Je caresse d’un peu trop près le barbelé qui nous entoure, mais heureusement, mon gant en sera le seul cisaillé. Rochers, tranchées et noirceur avivent nos regards. Le pavé débouche parfois au coin du sentier et nous le gravissons pour atteindre un autre embranchement.
Nez de bœuf et Notre Dame de la Paix
La course étant constituée de perpétuelles ascensions et de descentes leur succédant, l’objet de mon attention demeure fixé sur ce qui se passe momentanément et j’envisage, le plus possible, les pointages, comme les ravitaillements (lesquels sont parfois distincts), un à la fois. Chaque croisée, chaque changement de terrain offre une opportunité de ralentir ou d’accélérer en fonction de notre état, de ceux et celles qui nous entourent – nous sommes parfois nombreux – de l’ouverture dont nous disposons en vue de courir plus amplement ou encore de nous amarrer au rythme d’un autre.
Plus l’heure avance, plus le froid se fait sentir. Approcher Nez de bœuf me paraît plutôt stimulant. Lors de ma première expérience en Diagonale, j’y avais atterri avec une migraine carabinée. J’ai la sensation, ici, de transcender l’espace et le temps pour soigner quelque chose. La réflexion métaphysique ne s’étend pas, car les besoins prioritaires prennent les devants : remplir les gourdes, prendre quelques fruits, une soupe et repartir le tout à la main, prête à enfiler mon manteau entre quelques bouchées salées-sucrées.
Les bruits environnants se font maintenant ponctuels et nous indiquent qu’une station de pointage ou un lieu de rdv pour l’assistance se trouvent à proximité. Un père et son fils nous offrent des crêpes, sourire aux lèvres. Chaque rencontre, aussi brève soit-elle, invite à saisir, comme un cadeau, la beauté de l’instant qu’elle nourrit. Côtoyer les coureurs, tantôt volubiles, tantôt silencieux, écouter leur accent, le ton de leur voix, leur discours….

Mare-à-bout
Le ravitaillement de Mare-à-bout est bondé. Remplissage et choix d’aliments s’avèrent donc un peu élastiques; d’un côté comme de l’autre, on tente de se faufiler pour être efficace, mais aussi pour éviter de prendre froid. La grisaille nous enveloppe et je goûte le plat qui me fera bientôt l’effet d’une épée de Damoclès. Entre deux mondes, reprendre la cadence vers cette nouvelle section me paraît particulièrement difficile. J’en ai pourtant un bon souvenir. Et je sais que les kilomètres à suivre sont susceptibles de s’avérer exigeants. Malgré l’habitude, malgré les risques, je n’ai pas prévu la possibilité de me sentir indisposée à ce point sur le plan digestif. Les petites montées dans les nuages de Mare-à-bout me paraissent habillées de points blanc et chaque déplacement me fait l’effet d’une coupure en oxygène, comme si je n’arrivais pas à respirer avec l’amplitude dont je sais mon corps capable. Le ralentissement est brutal, mais il semble être la seule option pour continuer d’avancer. Les racines et les cailloux ornent les bords de falaise. Je les observe en constatant que la brume nous entoure. À chaque souffle, de petits points blancs dansent devant mes yeux. Un tableau semble se dessiner avec l’humidité, la grisaille et ces petits points qui vont et viennent au rythme de l’effort. La descente est moins laborieuse, me permettant de simplement laisser aller mon corps et de faire confiance à mes pieds, à mes jambes. J’y prend plaisir, ce qui m’accompagne dans les montées, lorsque je ne sais plus comment respirer efficacement alors que mon ventre se contracte et se dilate.
Cilaos
L’arrivée à Cilaos, presqu’à mi-parcours, est portée par l’anticipation. Récupérer le premier sac de ravitaillement que j’ai déposé pour y piger quelques effets, tenter le changement de souliers, puis contempler une assiette que je n’arrive pas à manger font partie des essentiels. Un jus, des tranches de pomme et beaucoup d’espoir nous accompagnent moi et bedon distendu alors que nous reprenons la route vers le début du sentier du Taibit, menant à Marla. Marla la belle, Marla la lointaine. Petit village surplombant un nombre incalculable de marches, comme il en existe un peu partout le long du parcours, il nous invite avec sa verdure et ses quelques maisonnettes, perchées aux côtés des rochers. Ce lieu me fait l’effet d’une oasis, alors que je cogite depuis un bon moment à propos de ma capacité à continuer de cheminer le long du tracé de la Diagonale. Des bénévoles nous offrent un ravitaillement et j’arrive à avaler deux ou trois bouchées de macaronis au beurre. Puis on nous fait passer à travers une petite foule dont les applaudissements font sourire et, en l’occurrence, pleurer à la fois. Mon cœur se gonfle et une chaleur nouvelle me parcoure. Je ne sais pas de quoi auront l’air les prochains kilomètres, mais je choisis d’aller le découvrir avec, au cœur, les sourires et les encouragements prodigués par ces gens dont la présence me semble tout à fait magique. J’essuie mes yeux gorgés de larmes en souriant à mon tour.
J’ai bien conscience que le temps file et que la journée tire à sa fin, tout doucement.
Plaine des Merles
Souvenir d’un lieu où la lenteur nourrit encore le souhait de voir le paysage changer. Je ne me sens pas au mieux et mes yeux se concentrent sur les portions de route, route, route, avec la noirceur qui prend de plus en plus d’espace. Réaliser pleinement que je ne serai pas en mesure de m’en tenir aux chronos fixés lors de l’élaboration des hypothèses de course me déçois, mais j’ai bien conscience du privilège que représente l’opportunité d’être ici, sur cette île, à travers les sentiers et les montagnes. L’esquisse de l’abandon s’est précisée assez grassement au cours des dernières heures. Malgré son apparence, j’ai fait le choix d’avancer. Et même si ce lieu n’est pas mon préféré, ma tête et mon coeur chuchotent l’envie que j’ai aussi de voir le jour, de poursuivre. Avec ou sans nourriture, je trouverai bien un moyen.
Roche plate-plateau Cerf
Ce lieu qui ne semble jamais arriver. Ayant la mémoire de mon passage lors de ma première tentative, je n’arrive pas à saisir la localisation de la station de ravitaillement. Les souvenirs que je conserve des lieux et des sensations s’avèrent habituellement assez francs, mais l’association ne se fait pas ici. Mes pensées se creusent et le froid prend de l’espace au bout de mes doigts. Je réalise peu à peu que ce nouveau parcours offre quelques variations et qu’il n’est donc pas identique à celui que j’avais complété auparavant. Il fait froid. Très froid. La buée s’étire en sortant de nos bouches. Ceux et celles qui s’allongent sous leur couverture de survie me semblent immensément courageux. Juste à faire le tour de la station de ravitaillement et de repos du regard, je me sens plus alerte et plus réveillée. En poursuivant mon trajet le long de petits murets de brique, mon esprit réussit à faire accepter à ma tête qu’il nous faudra peut-être nous poser quelques minutes quelques minutes ici et là lorsqu’il fera plus chaud.
Grande-Place-les-bas
Ou le prolongement de l’impression de ne jamais arriver à destination. Les intersections et les points d’eau me confondent. Peut-être la sensation de ne pas reconnaître le tracé est-elle simplement exacerbée par la fatigue. Je passe rapidement cette section, me permettant un arrêt pour fermer les yeux pendant quelques minutes au besoin. Le long du tracé, ce sera la lumière de ma montre qui fera foi d’alarme lorsqu’il me faudra rouvrir les paupières. Tranquillement, le soleil se fait de plus en plus présent, répandant sa chaleur de façon croissante et même si je sais qu’elle peut s’avérer cuisante, je l’apprécie. L’idée principale étant de continuer d’avancer et de penser à m’hydrater avec constance.
Deux Bras
Un enchaînement de descentes, de sauts entre les rives, de bonds pour franchir d’énormes rochers s’ensuit en direction de Deux bras. La traversée de ce qui ressemble à un réservoir, le long de la tuyauterie, me rappelle les années passées dans la région de Shawinigan, au Québec. Le temps est radieux et je me réjouis du simple fait d’apprécier ces moments où mon corps accepte de pousser pour vivre les descentes avec rythme et fluidité. J’apprendrai plus tard que ce lieu est aussi celui où l’une de nos comparses, Béat, s’est solidement blessée (ce qui ne l’a pas empêchée de compléter son parcours). Le ravitaillement se compose de plusieurs tentes militaires, tantôt munies de lits de camp, tantôt de tables et de chaises adjacentes à la cuisinette, tantôt d’un vaste espace d’entreposage pour les sacs de ravitaillement des coureurs. Assise avec, devant moi, une assiette composée de saucisse et de tranches de fruits, un jus à la main, je tente de me convaincre d’essayer d’avaler quelque chose. Le jus, tout de mangue composé, est absorbé alors qu’un journaliste de Réunion Première, la chaîne de télé locale, s’approche pour me poser des questions. Son sourire fait du bien, mais il semble tout aussi suspicieux que moi quant à la teneur de mon assiette. Quelques minutes de discussion s’écoulent et j’essaie une bouchée de saucisse, geste qui se solde en explosion de liquide en direction de mes voisins de table. La deuxième bouchée me convainc qu’il est temps de reprendre la route et je m’exécute, tout en sueur avant même d’avoir réellement repris le pas de course. Et le plus drôle: je croyais que Deux Bras allait signer la fin du tracé des ascensions, mais il se trouve que non. En quittant le point de ravitaillement, il s’en pointe une autre. Ce moment est celui où je me demanderai pourquoi, mais oh pourquoi, des familles et des vacanciers s’amusent à emprunter ce sentier abrupt, où la végétation est un peu aride par sécheresse et où des jambes fatiguées se sentent rapidement exaspérées. Ma conclusion, en montant: le piment de la saucisse décuple la chaleur.
Chemin Ratineau
Ce passage me rappelle des souvenirs, comme l’impression de marcher dans les rues de l’un des villages de mon enfance. Peut-être mon subconscient le traite-t-il à l’image de mes souvenirs d’Afrique (j’y ai habité étant enfant). Pour la deuxième fois, tout me semble familier et familial ici. Une brève incursion dans la section des arbres penchés et des cordes auxquelles s’accrocher, quelques chemins bordés de petites pierres et de racines, l’impression de me rapprocher de la ville et des bouts de conversation, au passage, captent mes sens. Je ne me demande même plus comment avancer: il est certain que ce parcours se terminera en entrant au stade de la Redoute.
La Possession
Un espace-temps où se prolonge une chaleur extrême. Je rêve de piscine, d’océan et de jets d’eau. En profiter pour m’asperger au maximum à la station de ravitaillement, puis le long de la route, où un bon samaritain nous attend avec son boyau d’arrosage propulsant un arc en ciel de miracles fait partie des cadeaux du moment. La route goudronnée et des restes de crème solaire font partie de ce qui ajoute aux sourires et aux encouragements des passants. Nids d’oiseaux, parc école, airs typiques, panneaux d’affichage que l’on ne peut retrouver qu’ici font partie des petits trésors que ma mémoire enregistre.
Grande Chaloupe
Lieu de commémoration et début du sentier des Anglais, ce point d’arrêt marque un regain frugal alors que je réussis à manger six tranches de pommes. Les quartiers d’orange ne passent pas. Ils se déposent le long du Sentier des Anglais, que j’emprunte avec une joie renouvelée. Poser le pied sur chacun des rochers qui s’emboitent au sol, sautiller de l’un à l’autre, trouver, du regard, les lignes permettant de réaliser un parcours le plus linéaire possible capte complètement mon attention. Là où nombre de coureurs et de coureuses semblent avancer péniblement, j’ai, chaque fois (lire: parcouru deux fois en 2019 et une fois avant la course de cette année), la sensation de revivre en entamant ces quelques kilomètres. Les points de vue donnant sur l’océan ont quelque chose de rafraîchissant. Le parcours se déroule comme de petites vagues s’étalant de haut en bas, puis de bas en haut. Le rythme des coureurs s’étend, lui aussi, de tout son long entre les bosses et les creux.
Colorado
Colorado: toujours trop long quand on se sent fatigués. Il s’étend comme un désert ascendant entre les amoncellements de maisons, quelques étendues de verdure et des pans de route goudronnée. Chaque petite section donne l’impression qu’on arrive au sommet (point qui nous indique que s’amorcera la dernière descente) sans toutefois confirmer cette impression. La métaphore parfaite du jeu psychologique entre en scène ici. Du sable en bloc, du sable en tranchées, des embranchements sablonneux et de la poussière de sable au passage sous nos pieds, autour de nos corps, devant nos yeux. Je ne regarde pas en arrière, parce que je préfère m’imaginer que ce qui se déroule devant moi me rapproche dangereusement de mon but: dévaler la pente qui abrite les derniers kilomètres pour me précipiter, en un morceau, vers la ligne d’arrivée. Ceux et celles qui ont pris le temps de faire une ou encore de multiples reconnaissance(s) d’avant course au Colorado sont fous. Un peu plus que les autres. Mais puisque la participation au Grand raid implique son lot de folie, on se retrouve.
Le coucher de soleil est ahurissant. Je prie pour pouvoir étirer le temps afin d’éviter d’allumer ma lampe frontale. Savourer, en poussant le corps, la technicité du parcours comme les dernières lueurs du jour s’étendant sur les rochers, se déposant sur le feuillage, faisant miroiter une casquette au passage et briller mes yeux, représentent l’ultime plaisir d’être à la veille de compléter une épreuve. Mes jambes n’ont plus de freins. Et mon coeur sourit. Enfin, encore.
La Redoute
Une approche presque nocturne, la musique qui retentit avec la voix de l’annonceur, puis les gens de la ville qui se cordent à la sortie de la descente peuplent l’atmosphère. En levant les yeux, j’aperçois soudainement Vero, qui me suit, en courant parallèlement à moi, sur la route, puis Béat et Christian, longeant jusqu’à l’embouchure du stade. J’avais oublié qu’il nous fallait courir la piste et momentanément, le moteur de mon cerveau appuie sur l’embrayage, histoire de plonger au-delà de la ligne d’arrivée. Je ne réfléchis plus qu’aux prochaines secondes. Puis survient l’éclair euphorisant: j’ai réussi à compléter ce que je ne croyais jamais pouvoir finir sans absorber le nécessaire, nutritionnellement parlant. Je m’étale de tout mon long sur des blocs de bois, juste assez toastée pour savourer cet instant. Je n’ai définitivement pas faim et prendre une douche est alors mon plus grand fantasme. En voyant s’approcher les amis, l’émotion me submerge. Leur présence me fait l’effet d’un gigantesque élan de support. Et je comprends à quel point franchir une ligne d’arrivée en pays étranger, tout en sachant qu’on est accompagné.e, quelque part, de quelque façon, peut réchauffer le coeur.
Un merci unique et vibrant à vous, Béat, Christian, Vero, Joffrey, Line et Themy; faire équipe de voyage en votre compagnie fut magique.
Merci Sangé pour ta générosité et pour ton temps
Merci Christophe, Cindy et Tino pour le bord de mer en bonne compagnie
Courage à tous ceux et celles qui prendront, un jour ou l’autre, le chemin de l’Ile intense. À vivre, à pied et à vol d’oiseau!