Et si on en parlait? How will we reach for each other?

À la maison, j’ai deux enfants. L’une se sent complètement dépassée par les événements; elle n’en peut plus. L’autre me parle de la mort, de l’angoisse face à celle-ci; elle m’exprime le parallèle qu’elle fait entre ce qui se vit en ce moment et les épreuves que nous avons traversées au cours des dix dernières années. Elles ne sont pas encore adultes. Elles n’ont même pas l’âge de conduire. Dans ce logement qui nous abrite et que nous devrons quitter bientôt, je me rappelle que nous sommes privilégiées. J’éprouve de la gratitude et pourtant, les remises en question surgissent. Les nuits de sommeil sont courtes. Lorsque celui-ci nous emporte, son ciel tangue. Les matins s’embrument…

Je m’étais promis de faire abstraction de commentaires ou d’en ajouter quant à ce qui se vit, socialement, de nos jours, compte tenu du fait que nous sommes déjà surchargés d’information comme de désinformation. J’ai l’impression qu’il peut s’avérer assez aisé de juger, d’interpréter, de sombrer dans un état qui s’éloigne de l’équilibre. On m’a d’ailleurs demandé, à certains moments, de me positionner, de prendre part à nos mesures (comme tout le monde – je m’y tiens; nous nous y tenons) et de me faire l’avocate d’une position ou d’une autre, rôle que je ne prendrai pas. Toutefois, je ne peux pas passer sous silence ce que j’observe et qui nous touche les uns les autres.

J’observe qu’il y a beaucoup de confusion, de dissonance, que ceux qui en souffrent ne sont pas nécessairement alités ou en difficulté respiratoire, mais qu’ils sont de plus en plus nombreux. Et ça me préoccupe particulièrement quand on parle de notre jeunesse, quand je le vois chez mes enfants…

Pour être franche, il y a une partie de moi qui en avait déjà son lot bien avant l’avènement de cette crise. Que nous soyons plus ou moins bien nantis, il me paraît évident que nous avons encore beaucoup à faire pour améliorer le monde. Pour prendre soin des gens. De nous-mêmes, de la nature, de nos environnements intérieurs et extérieurs. Sur le plancher des vaches, j’appellerais ça un « wake up call ». Un autre.

Demeurer active/actif, faire du sport, méditer, écouter de la musique apaisante (ou stimulante), trouver des façons de se sentir aligné(e), en équilibre, de se reposer font partie des essentiels. J’ai exprimé, il y a quelque temps que je me sentais anxieuse face à l’ensemble de la situation. Que je réalisais que cela m’affectait beaucoup plus que je ne l’aurais voulu. Par vagues. Avec la fatigue accumulée, très certainement. À la réflexion, ce qui me préoccupe n’est pas la maladie. Loin de moi l’idée de décrier quoi que ce soit en lien avec nos politiques ou de minimiser ceux qui en sont ou qui en ont été atteints, rassurez-vous. Mais je ne peux pas faire abstraction de l’ampleur de nos réactions, des dommages collatéraux en regard de ce tout, de cette crise.

On peut être témoin de formidables mouvements, de ceux qui nous élèvent, comme d’initiatives créatives. J’ai pris part à plusieurs d’entre elles; j’en ai même initié dans ma région. Et j’y crois encore. Parce que ça nous fait du bien. Parce que nous avons besoin les uns des autres. Il émerge toujours, de l’adversité, des gestes, des mots, des expériences formatrices, empreintes d’humanité. En même temps, à l’instar du Ying et du Yang, certaines de nos actions, de nos réactions sont caricaturales. Je vois, j’entends et je lis le récit d’expériences qui tournent autour de l’ignorance, du silence, de la violence, de l’intimidation, de la peur. Peur de l’autre. Peur de vivre. Mal de vivre aussi…

J’ai également conscience que ces comportements n’ont rien de nouveau et qu’ils faisaient partie de nos réalités bien avant la crise. Mais constater qu’ils affectent de plus en plus nos jeunes, nos clientèles à risque, nos ainés comme tout autre individu vulnérable me fait l’effet d’une bombe dont le gaz s’échappe lentement et sûrement. Oui, ils sont résilients, ils s’adaptent, savent être forts quand il le faut. Mais personne n’est sans faille.  Ils ont le droit, eux aussi, d’exprimer leur vulnérabilité. D’en avoir assez. De chercher mieux. J’en conviens : nous sommes choyés, malgré tout, en regard de nombreuses autres nations, de multiples modes et milieux de vie. Nous sommes éduqués. Nous mangeons. Avons accès aux soins médicaux de base, pouvons aspirer à nous réaliser sur le marché du travail et plus encore.

Je suis une femme. Les rôles de mère, de créative, d’athlète, d’ambassadrice, de conseillère et j’en passe font partie de mon quotidien. D’ailleurs, depuis un certain temps, je me débrouille en faisant de l’entretien ménager lourd. Avec tout mon respect pour ceux et celles qui oeuvrent dans ce secteur, je vous partage ici une infime portion de ma routine professionnelle du moment.

Voici : sur mon lieu de travail, de nombreux pièges ainsi que des trappes ont été disposés un peu partout pour gérer la présence des souris (le site est situé en forêt). Les pièges visent, dans un premier temps, à isoler celle qui y entre, puis, comme elle ne peut pas en ressortir, elle s’affaiblît graduellement, se déshydrate et…meurt. Lorsque je vois l’un de ces objets, je m’empresse de l’ouvrir. J’espère pouvoir aider la petite bête et la remettre là où elle profitera de son terrain, libre. Parfois, j’ouvre la boite de métal et j’en trouve une toute recroquevillée, les yeux fermés. Elle ne bouge plus du tout, pas même une moustache. Je prends alors délicatement le contenant et je descends les marches du balcon de l’installation où je me trouve pour aller lui offrir une sépulture en toute simplicité, auprès d’un arbre. Chaque fois, j’en ai le coeur tout retourné…

Vous me direz qu’il ne s’agit que d’une souris. Malgré tout, à mes yeux, elle compte. Parce que nous sommes tous et toutes des êtres vivants. Pas de la même espèce, mais tout de même. À chacune de mes interventions, je me demande jusqu’à quel point nous aurons le courage d’être solidaires. D’être présents les uns pour les autres, en dépit de nos opinions, de nos choix, de nos croyances. Parce que nous pouvons tous incarner tantôt la souris, tantôt la main qui aide. Quelque soit notre provenance ou notre statut, ça compte.

Nous ne serons peut-être pas en mesure de tirer tout le monde d’affaires, de sortir de la boite sans une intervention externe. Une intervention de géant ou de souris. Mais j’ose espérer que j’aurai et que nous aurons assez d’humanité pour reconnaître que les appels à l’aide ont toujours leur importance et que la valeur qu’on leur accorde peut dépasser, de loin, cette conception que nous avons de ce qui va ou ne va pas. Parce que nous pouvons faire une différence, d’une façon ou d’une autre. Parce que la santé, c’est aussi mental. Qu’on se le tienne pour dit.