La simplicité ou vingt-quatre heures pour bouger

On m’a demandé, cette année, comment il pouvait être possible de réussir à courir pendant ving-quatre heures dans une journée qui en compte tout autant. Avant de répondre, j’ai pu constater que je n’y avais jamais réfléchi. Ça allait de soi. Curieusement, cette idée fait partie de celles à propos desquelles je n’avais, sans en avoir pris conscience, aucun doute. La nature et la vie sont fortes. Ici, mon corps ne fait que suivre. La simplicité représente, en elle-même, parfois un défi.

…Ou peut-être pas tout à fait. J’imagine qu’il en faut, de la motivation et une volonté de ce corps comme de l’esprit, pour continuer d’avancer. Nous en avons toutes et tous des conceptions différentes. Lorsque je cours, l’attention est portée sur le moment. Un à la fois. Je peux entrevoir les passages, les temps de ravitaillement et de repos au besoin, mais, réellement, ce qui m’anime est le désir de me retrouver et de plonger dans l’instant comme s’il était unique. Parce que c’est une réalité. Il n’en existe pas deux identiques. Et quand bien même ma tête travaillerait très fort pour le saboter, cet instant existe et un autre viendra ensuite. Toujours. Comme ceux qui les ont précédés. Ici, l’autosabotage n’y peut rien. Reconnaître sa valeur, ancrer ses valeurs, souligner la gratitude d’être en vie ne font pas l’objet d’un examen. Ces dimensions existent. Point. Et je les vis, un temps à la fois. C’est peut-être ce qui me permet d’intégrer, petit à petit, le lot des expériences.

Pourquoi courir lorsqu’on peut marcher?

Tout d’abord, les coureurs marchent aussi, parfois. Et c’est une bonne chose. La montagne, les sentiers et les zones sauvages constituent un terrain de choix pour s’y entraîner. Il m’aura fallu près de quarante ans pour commencer à accepter mon chemin. À l’intégrer, peut-être. Mes enfants n’y sont pas étrangers. Tout comme ceux et celles que j’ai croisés et qui m’ont rappelé que la simplicité pouvait s’inscrire dans un souffle, un regard, un choix.

Ici encore, nos réponses peuvent se multiplier. La beauté de celles-ci, à mon avis, réside dans leur variété. Assise au pied des arbres qui veillent sur la maisonnette, les oreilles captées par les chants des cardinals, des geais bleus, des petits oiseaux et par les discussions que tiennent les écureuils, j’avoue ne pas être en mesure de fournir ici une réponse unique. Le premier élément me semble être l’amour du mouvement, combiné à celui de la nature, de l’aventure et de la découverte. Cet espace où le dépassement ne donne pas lieu à un questionnement ou un raisonnement, mais plutôt à un enchaînement d’actions guidées par le coeur, par l’instinct, par l’intuition (ou encore l’absence de ces variables, parfois aussi, en fonction de nos choix). Parce que la vie passe vite, trop vite…

À quoi cela sert-il?

À vivre, tout simplement. Avec tout ce que je suis, avec tout ce que j’ai. Parce que j’ai frôlé et côtoyé la mort trop de fois déjà pour ne pas avoir conscience de la force comme de la fragilité de ce que nous sommes. Je ne prends aucune journée pour acquis et ça me rend anxieuse, bien plus souvent que je ne le souhaite. C’est encore difficile à prendre, mais le fait de voir mes enfants naviguer dans ces océans d’incertitude, de constater que nous sommes nombreux me rappelle à la rivière. À son courant. Que je ne comprends pas tout à fait comment calmer. Ni comment le suivre. Je sais, par contre, que le fait de courir m’en rapproche. Dans mes rêves, je cours la Terre tout entière, ralliant ses cours d’eau, ses histoires, ses arômes et ses paysages. De jour en jour, d’heure en heure, je pose mon pied au sol et je lui permet de s’ancrer, ici. Pour le bonheur de vivre. Pour le bonheur d’être. En souhaitant que mes enfants y touchent aussi pour en faire leur trésor. Nous sommes citoyens du Monde et je ne vois pas de meilleur moyen d’en faire partie que de le fouler avec mes pieds, de l’écrire avec mes mains, avec mon coeur et d’en faire une image qui se transforme, jour après jour après jour.

À quoi ça sert? À être. Pour de vrai.

Pourquoi se pousser physiquement lorsqu’on peut y aller tout doucement?

Parce que c’est surprenant. Même lorsqu’on croit être arrivé au bout de nos ressources, il n’en n’est rien. Je ne m’explique pas l’origine de cette force et je crois qu’elle dépasse, de loin, les épreuves que l’on peut rencontrer sur nos parcours. Avancer vers l’inconnu me fait aujourd’hui l’effet d’une boite à surprise que l’on tarde d’ouvrir. Je n’ai plus envie d’attendre jusqu’à Noël. D’ailleurs, je n’y ai jamais excellé : enfant, je ne pouvais m’empêcher d’explorer chacun des recoins des maisons pour trouver tout ce qu’on tentait de nous dissimuler. Parfois, mon audace était récompensée. À d’autres moments, les conséquences s’avéraient coûteuses. Les Agatha Christie, les Nelson Mandela et les Terry Fox de ce monde me permettaient de plonger dans des univers où s’entremêlaient le réel et la fiction lorsque je ne me perdais pas en forêt, pour mon plus grand bien. Alors comment ne pas imaginer la possibilité d’explorer davantage? L’idée d’avancer avec un corps et un esprit qui apprennent et qui évoluent, perpétuellement, m’interpelle. Chaque instant est riche en soi. Par conséquent, toute opportunité de dépassement, à toute échelle, se vaut.

Pourquoi partir quand on peut rester?

Est-ce qu’on part vraiment? Je veux dire, à un autre niveau, en considérant les choses autrement? C’est un peu métaphorique, j’en conviens, mais c’est aussi une belle façon de concevoir ces moments auxquels on participe et qui nous demandent de sortir de chez nous, de faire partie de l’environnement, de se présenter à une ligne de départ. La motivation, ça peut être très relatif. J’ai tendance à croire qu’il existe de nombreuses déclinaisons entre le noir et le blanc, un ensemble de teintes – les dégradés – qui ont chacune leur importance, leurs particularités. Je ne regrette aucun de ces moments où j’ai choisi de courir alors que j’aurais pu dormir ou m’éviter tout un lot d’intempéries. Les endorphines et le lot de réactions hormonales déclenchées par l’activité physique y sont peut-être pour quelque chose, mais ce qui me frappe, surtout, c’est cette propension à moins tourner et retourner les idées dans ma tête. Sans révision, sans remise en question.

Sortir. Courir. Respirer. Simplement. Aller là où je sens que je peux aller. Être à l’écoute. Dans mon corps.

Un jour, ma fille cadette m’a exprimé sa crainte de me voir partir. Que le fait de courir pouvait m’enlever à elle et causer ma mort. Je n’y avais moi-même pas réfléchis. Je me demande encore à quel point j’ai été rassurante – ou pas – au cours de la conversation que nous avons partagée par la suite. Le fait qu’elle me communique ses craintes m’a émue. Compte tenu de nos choix et de nos réalités, j’ai le sentiment que le plus beau cadeau que l’on puisse se faire est d’avancer lorsqu’on en sent l’appel. Et que le plus grand leg que l’on puisse déposer, c’est peut-être de permettre aux prochains de croire que le meilleur, le beau est possible même lorsqu’on ne comprend pas comment. Qu’il y a toujours une ouverture quelque part. Qu’on a le droit d’aspirer au bonheur, d’aimer un instant après l’autre.

Que partir, parfois, c’est aussi rester.

Le regard posé sur ce qui est là, devant.

En s’habillant des rêves que l’on veut bien tisser.

Au final, courir vingt-quatre heures dans une journée qui en compte tout autant, c’est vivre un long, un unique moment. Multiplier les tours d’horloge font du temps et de l’expérience des alliés, pour certains . Un moment ou toujours. Cela dit, il reste que toute distance, tout temps et toute occasion comptent pour celle et pour celui qui s’y engage.

Du pareil au même

Et pourtant unique

La valeur, c’est l’instant.

Dans toute sa simplicité

 

 

 

L’esprit du trail et la solidarité

Photo: SolidariCourse

L’esprit du trail, c’est comme une histoire qu’on ouvre et qu’on ne finit plus de lire…jusqu’à la vivre. On plonge dans ses images, on galope, on contemple et on s’y retrouve, parfois, à bout de souffle, mais repus. L’incursion peut durer quelques minutes, quelques heures, voire quelques jours. Et quand on en ressort, on se dit, bien souvent, qu’on y reviendra. Peut-être pas tout de suite, mais bien assez vite pour respirer encore un peu ou beaucoup chacun de ses passages. Il s’étend jusqu’à la route et teinte nos regards avec sa lentille sous un angle unique. L’esprit du trail ne s’essoufle pas, lui, et il semble nous unir les uns aux autres, aujourd’hui, alors que la montagne se fait lointaine et que les sentiers appellent les empreintes.

Physiquement parlant, en ce moment, il me manque. Après avoir récolté des bribes d’histoires, ici et là, je me suis replongée dans son étendue. Dans la couleur de ses expériences, au coeur de l’importance qu’elles revêtent dans nos vies. On décrit souvent la course comme une discipline individuelle. Elle l’est, de bien des façons. Mais elle évoque aussi une formidable toile de connexions qui se tissent au-delà des frontières, des barrières et des préjugés. Nous sommes reliés par nos passions, par nos intérêts, nos valeurs. Nous nous retrouvons sur les sentiers, au bas ou au sommet des montagnes, bien simplement vêtus, avec cet élan qui nous caractérise et qui forge celui ou celle que nous sommes. Je crois que la course et la course en sentier transforment. On peut certainement en dire autant de ce qui nous interpelle et nous fait grandir dans chacune des sphères de nos vies.  Empreint de ce qui reste. Comme une histoire qu’on ouvre et qu’on commence à lire…

Photo: Nico et Geneviève

Coureurs et randonneurs, Nico et Geneviève m’en ont longuement parlé. Actuellement logés dans les environs de Mirabel, ils sont sur les pistes depuis peu et ils s’investissent avec curiosité, engagés à aider. Ils ont rencontré Olivier Le Méner, de l’Ultra Trail Académie, il y a déjà un moment pour participer à ses ateliers, puis venir en aide en termes de préparation des lieux et des trajets de course. Pour eux, le trail est synomyme de voyage, d’opportunité de se connaître, de méditer, d’aller explorer ses limites et de travailler ensemble, en collectivité. Ils s’offrent volontiers pour contribuer, voir s’étendre les effets directs et colatéraux positifs d’une telle pratique. Humbles et enthousiastes, ils continuent d’explorer le monde de la course le coeur grand ouvert. Nico m’a exprimé y avoir retrouvé son chemin. Geneviève y dessine, pas à pas, le sien. J’ai l’impression que c’est une caractéristique commune des passionnés. On croise, ici et là, des personnes qui nous ressemblent et l’on reconnaît cette lumière dans les yeux de l’un et de l’autre. En toute simplicité. Prendre le temps de choisir les parcours qui nous animent, qui nous allument pour apprendre davantage, pour goûter les sentiers, pour y être, complètement. Comme une histoire qu’on ne veut pas terminer…

Photo: Ultra Trail Académie

Renée Hamel, coureuse d’aventure, m’a décrit cet esprit du trail comme un élément fondamental, lequel relie les gens. Qu’on se trouve dans son propre coin de pays ou que l’on atterrisse à l’Étranger, peut-être en terrain inconnu, le langage de la course et l’amour de l’aventure nous permettent, ponctuellement, de communiquer avec ceux et celles qui entreprennent ou qui souhaitent entreprendre ce à quoi nous aspirons. Qu’on parle d’une sortie de courte ou encore de longue durée, cet esprit appelle l’authenticité, la présence, le bonheur de bouger et de pouvoir être contagieux au-delà des frontières. Des moments qui se dessinent commes étant, à prime abord, des rêves devenus objectifs prennent l’aspect de souvenirs marquants et de perles que le temps n’effacera pas. Ils nous permettent de devenir, chaque jour, davantage celui ou celle qui rayonne par le simple fait de se permettre d’y être, pleinement. Je crois que ce sont aussi ces moments qui génèrent de nouveaux projets, lesquels seront tributaires de nouvelles rencontres, de nouveaux apprentissages et de surprises. À l’image de celles qui surgissent  lorsqu’on tourne la page d’une histoire.

Photo: courtoisie

À bien y penser, au fil du temps et des entrevues que je mène avec des coureurs de tous acabits, je réalise que cet esprit bien unique se porte toujours présent, d’une façon ou d’une autre. Que l’on s’affiche comme compétitif, participatif ou coopératif, on peut percevoir ce quelque chose, ce qui nous accroche, ce qui fait qu’on reconnait les visages d’un lieu à un autre, d’un moment au suivant. On peut en quelque sorte faire le pont entre ce qu’on vit au quotidien et ce qu’une expérience en course nous offre. L’un se transpose à l’autre. En continu. Enfin, je crois que c’est ce qui se produit lorsqu’on y accorde de l’importance. Lorsqu’on y retourne. La performance tout comme l’expérience suscitent un affect bien particulier. C’est ce qui rend riche et vivant cet esprit. Comme une histoire qui prend vie…

Récemment, l’opportunité de contribuer à une énorme vague humaine s’est présentée. On parlait de virtualité, de relais, de course, de marche, de sourires, de partage, de contribution, d’aide et d’implication. On parlait d’une équipe. Et surtout, de solidarité. J’ai été saisie par la force qu’un mot, suivi de mille et une actions, en concertation, pouvait avoir. Encore. La communication, comme la course, ont pris une place proéminente. Jour et nuit, d’heure en heure, pour avancer.

Simplement

Ensemble

En solidarité

Cet ensemble qui, me semblait-il, me manquait parfois; le solo devenu solidarité. Comme le loup et les oiseaux, les uns se relaient aux autres afin d’aller plus loin, de parcourir la distance et le temps qui font de nous des êtres humains. Des êtres reliés.

Autrement, pour un moment, avec tout un lot d’énergie et de soutien

Assise à la grande table de la maisonnée, alors que j’écris ces lignes, je viens de lire que nos parcs et nos aires en nature seraient bientôt à nouveau accessibles. Que je pourrai, par conséquent, embrasser la montagne avec autant de foulées que d’éclats de rire. Peut-être quelques larmes aussi. Et je pense, en même temps, à tous ces messages que l’on se partage, en ligne ou par la poste – j’ai repris goût à l’envoi d’une lettre avec un timbre, geste qui me paraissait presque archaïque il y a quelques mois. Il y a, dans ces élans de communication, dans cette vague humaine et humanitaire qui se lève, une formidable transformation. Pas à pas. Un sourire, une salutation, un aurevoir après l’autre.

Ma nature sauvage veut se fondre dans la forêt. En même temps, ici et maintenant, je ne peux qu’honorer la grandeur de ce que j’observe, par-delà les claviers.

Vivement les accolades

Remplies

Repues

Prêtes pour une nouvelle histoire

Photo: Tour du Lac Memphrémagog

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