Sur le dos du Grand Raid

À vol d’oiseau

Entre Montréal et Paris, le temps file. Les lucarnes sont fermées et je les contemple tour à tour en me demandant à quoi ressemblent les portions de ciel qu’elles dissimulent. Quelques jours me sépareront de la routine familiale, allégeant, du coup, le poids des réflexions. D’une lucarne à mes yeux ne se trace qu’une courte distance. Entre Paris et la Réunion, l’écran de l’ordinateur me rappelle à mes moutons et je bosse alors que mes yeux vacillent. Café et croissants m’accompagnent, sous la lumière tamisée de nos espaces, et je me laisse aller à penser à cette île où j’ai tant rêvé de pouvoir encore poser les pieds.

L’Ile intense

L’aéroport respire la vie. Les chants d’oiseau se font écho et mes lèvres esquissent un sourire. C’est un détail et pourtant, le son de la joie semble circuler de bec en bec. À la sortie, Line et Themy m’accueillent avec enthousiasme. Nous avons formé un petit groupe pour l’aventure. Scindé en deux en frais de répartition pour le logis, je cohabiterai avec Béatrice, Christian, Vero et Joffrey. Nous serons quatre à parcourir le trajet de la Diagonale (près de 170 kilomètres) et trois à emprunter celui de la Mascareigne (une soixantaine de kilomètres). L’époque des colocs en appartement étant passée depuis un bon moment, nous retrouver ensemble me fait l’effet d’un espace, déjà, assez enjoué, tout en apportant ses petits défis. Nous partageons un quotidien exceptionnel dans un espace d’exception, à quelques centaines de mètres de la plage. Travailler, courir, vivre ensemble font du bien, toujours nourris par les levers et les couchers de soleil réunionnais.

Chacun nourri son rêve au quotidien et c’est un peu ce qui nous rassemble ici.


Se réunir, en provenance de tous les coins du monde, à la Réunion. Du porche de la chambre d’hôtel, Sangé me raconte ce moment où il a choisi de quitter son village natal. Issu d’une famille de six enfants, responsables, tour à tour, de prendre soin l’un de l’autre alors que père et mère travaillaient dans les rizières, il tricote ses souvenirs en mots pour répondre à mes questions. La distance et l’émotion offrent un fil neutre, un fil qui permet de transmettre avec simplicité ce qui pourrait être si complexe à raconter. Perdre un membre de la famille, fuir la guerre civile, reprendre le chemin de l’école malgré les barrières, apprendre une autre langue, puis quitter le pays en quête d’un avenir à recréer.

La course est le ferment de son quotidien. Son oxygène.

Mes mains reposent sur mes cuisses pendant que j’observe les deux bracelets tout juste posés sur mes poignets: un rouge pour la navette et un jaune pour la Diagonale. Christian et Béatrice me partagent leurs prévisions, en termes de temps de parcours, afin que nous puissions nous retrouver à l’arrivée. Tous semblent fin prêts. Les encouragements et les souhaits se font écho, dans la voiture, jusqu’au point de chute de la navette. En prenant mes sacs de ravitaillement, je tourne la tête pour voir plusieurs autres coureurs venir s’installer au sol, sur le trottoir, histoire de patienter en position tout sauf debout pendant l’attente. L’autobus navette se présente comme une fleur en milieu de rue et nous embarque, direction St-Pierre. Dans la moiteur d’une soirée qui s’entame doucement, on nous dépose non loin du site de départ. Sacs en main, je marche le long d’une rue en observant mes congénères masculins s’arrêtant ici et là pour aller au petit coin. L’option coin de portail n’est pas envisageable dans mon cas…J’accélère le pas en vue de trouver, aussi rapidement que possible, un ilot toilette. Et c’est à sa sortie que j’entame le petit passage menant à l’entrée du site, peuplée de bénévoles et de tables d’inspection du matériel.

Une vague de visages connus va et vient pendant l’heure qui précède le départ: Anne et Sébastien, la sensation du jour, Casquette verte, Joffrey, Kelsey, Line et Themy et même Christophe, l’un de mes acolytes du Mexique. Les quelques minutes s’écoulant avant de me placer dans la zone qui m’est attitrée me trasmettent une ferveur et une excitation propices à sourire encore.

La Diagonale

En bordure de route, à St-Pierre, les chandails blancs et jaune se multiplient d’instant en instant. Une brise saline navigue entre les passants. Son odeur est douce et elle me guide vers le sas de départ. Ma mémoire cherche des souvenirs pouvant être accolés à chacun des moments qui se présentent. Trois ans plus tard, la sensation d’un départ unique ne s’estompe pas. Peut-être n’existe-t-il pas deux trajets semblables et ce, même si le coup d’envoi du soir marquera, dès 21 heures, la trentième édition du Grand Raid de la Réunion. J’ai choisi, pour une deuxième fois, de parcourir le tracé de la Diagonale des fous.

Trois ans déjà depuis que j’ai fait le vœu de remettre les pieds à l’Ile de la Réunion pour la parcourir à nouveau. Ce qui me paraissait alors très long s’évanouit dans l’instant et je me sens complètement enracinée à la réalité esquissée par ce nouveau départ. Près de 3000 coureurs font partie du lot et s’apprêtent à fouler les mêmes espaces, les racines, les rochers, les falaises. À traverser des lieux parfois semi-désertiques, parfois verdoyants. Cinq vagues se partagent le sas de départ et c’est dans la foulée l’une des autres que nous nous élançons. Lentement, les visages s’estompent dans le flot d’une respiration qui prend ses aises pour mieux ancrer un instant qui en accroche un autre.

Les minutes se passent et les passants se font de plus en plus bruyants, leurs mains se tendant vers nous en guise d’encouragement. La masse devient, au fil des kilomètres, un tableau de couleurs, de senteurs et de sons voués à donner, peut-être, des ailes aux raideurs. Le ventre me tiraille de plus en plus, comme saisie par une pression que je n’ai pas envie de ressentir. Prendre le pouls de ce que ressens, c’est accepter d’embrasser une expérience qui risque de ne pas être celle que j’anticipe, puisqu’une fois encore, les « données » inconnues et l’absence de certitudes font partie de l’ensemble.

Courir en bord de route, puis arriver rapidement au Domaine Vidot marque le premier point de passage. Pointage et remplissage se font avec efficacité et la reprise mène à un sentier que je reconnais. Apprécier fait partie de mes petits bonheurs, le souffle des coureurs qui m’entoure aussi, accompagnant le mien dans un effort de concentration. Le sentier monte et redescend comme une montagne russe, nous permettant d’offrir de petites poussées, puis de relancer pour aller de l’avant. Je caresse d’un peu trop près le barbelé qui nous entoure, mais heureusement, mon gant en sera le seul cisaillé. Rochers, tranchées et noirceur avivent nos regards. Le pavé débouche parfois au coin du sentier et nous le gravissons pour atteindre un autre embranchement.

Nez de bœuf et Notre Dame de la Paix

La course étant constituée de perpétuelles ascensions et de descentes leur succédant, l’objet de mon attention demeure fixé sur ce qui se passe momentanément et j’envisage, le plus possible, les pointages, comme les ravitaillements (lesquels sont parfois distincts), un à la fois. Chaque croisée, chaque changement de terrain offre une opportunité de ralentir ou d’accélérer en fonction de notre état, de ceux et celles qui nous entourent – nous sommes parfois nombreux – de l’ouverture dont nous disposons en vue de courir plus amplement ou encore de nous amarrer au rythme d’un autre.

Plus l’heure avance, plus le froid se fait sentir. Approcher Nez de bœuf me paraît plutôt stimulant. Lors de ma première expérience en Diagonale, j’y avais atterri avec une migraine carabinée. J’ai la sensation, ici, de transcender l’espace et le temps pour soigner quelque chose. La réflexion métaphysique ne s’étend pas, car les besoins prioritaires prennent les devants : remplir les gourdes, prendre quelques fruits, une soupe et repartir le tout à la main, prête à enfiler mon manteau entre quelques bouchées salées-sucrées.

Les bruits environnants se font maintenant ponctuels et nous indiquent qu’une station de pointage ou un lieu de rdv pour l’assistance se trouvent à proximité. Un père et son fils nous offrent des crêpes, sourire aux lèvres. Chaque rencontre, aussi brève soit-elle, invite à saisir, comme un cadeau, la beauté de l’instant qu’elle nourrit. Côtoyer les coureurs, tantôt volubiles, tantôt silencieux, écouter leur accent, le ton de leur voix, leur discours….

Mare-à-bout

Le ravitaillement de Mare-à-bout est bondé. Remplissage et choix d’aliments s’avèrent donc un peu élastiques; d’un côté comme de l’autre, on tente de se faufiler pour être efficace, mais aussi pour éviter de prendre froid. La grisaille nous enveloppe et je goûte le plat qui me fera bientôt l’effet d’une épée de Damoclès. Entre deux mondes, reprendre la cadence vers cette nouvelle section me paraît particulièrement difficile. J’en ai pourtant un bon souvenir. Et je sais que les kilomètres à suivre sont susceptibles de s’avérer exigeants. Malgré l’habitude, malgré les risques, je n’ai pas prévu la possibilité de me sentir indisposée à ce point sur le plan digestif. Les petites montées dans les nuages de Mare-à-bout me paraissent habillées de points blanc et chaque déplacement me fait l’effet d’une coupure en oxygène, comme si je n’arrivais pas à respirer avec l’amplitude dont je sais mon corps capable. Le ralentissement est brutal, mais il semble être la seule option pour continuer d’avancer. Les racines et les cailloux ornent les bords de falaise. Je les observe en constatant que la brume nous entoure. À chaque souffle, de petits points blancs dansent devant mes yeux. Un tableau semble se dessiner avec l’humidité, la grisaille et ces petits points qui vont et viennent au rythme de l’effort. La descente est moins laborieuse, me permettant de simplement laisser aller mon corps et de faire confiance à mes pieds, à mes jambes. J’y prend plaisir, ce qui m’accompagne dans les montées, lorsque je ne sais plus comment respirer efficacement alors que mon ventre se contracte et se dilate.

Cilaos

L’arrivée à Cilaos, presqu’à mi-parcours, est portée par l’anticipation. Récupérer le premier sac de ravitaillement que j’ai déposé pour y piger quelques effets, tenter le changement de souliers, puis contempler une assiette que je n’arrive pas à manger font partie des essentiels. Un jus, des tranches de pomme et beaucoup d’espoir nous accompagnent moi et bedon distendu alors que nous reprenons la route vers le début du sentier du Taibit, menant à Marla. Marla la belle, Marla la lointaine. Petit village surplombant un nombre incalculable de marches, comme il en existe un peu partout le long du parcours, il nous invite avec sa verdure et ses quelques maisonnettes, perchées aux côtés des rochers. Ce lieu me fait l’effet d’une oasis, alors que je cogite depuis un bon moment à propos de ma capacité à continuer de cheminer le long du tracé de la Diagonale. Des bénévoles nous offrent un ravitaillement et j’arrive à avaler deux ou trois bouchées de macaronis au beurre. Puis on nous fait passer à travers une petite foule dont les applaudissements font sourire et, en l’occurrence, pleurer à la fois. Mon cœur se gonfle et une chaleur nouvelle me parcoure. Je ne sais pas de quoi auront l’air les prochains kilomètres, mais je choisis d’aller le découvrir avec, au cœur, les sourires et les encouragements prodigués par ces gens dont la présence me semble tout à fait magique. J’essuie mes yeux gorgés de larmes en souriant à mon tour.

J’ai bien conscience que le temps file et que la journée tire à sa fin, tout doucement.

Plaine des Merles

Souvenir d’un lieu où la lenteur nourrit encore le souhait de voir le paysage changer. Je ne me sens pas au mieux et mes yeux se concentrent sur les portions de route, route, route, avec la noirceur qui prend de plus en plus d’espace. Réaliser pleinement que je ne serai pas en mesure de m’en tenir aux chronos fixés lors de l’élaboration des hypothèses de course me déçois, mais j’ai bien conscience du privilège que représente l’opportunité d’être ici, sur cette île, à travers les sentiers et les montagnes. L’esquisse de l’abandon s’est précisée assez grassement au cours des dernières heures. Malgré son apparence, j’ai fait le choix d’avancer. Et même si ce lieu n’est pas mon préféré, ma tête et mon coeur chuchotent l’envie que j’ai aussi de voir le jour, de poursuivre. Avec ou sans nourriture, je trouverai bien un moyen.

Roche plate-plateau Cerf 

Ce lieu qui ne semble jamais arriver. Ayant la mémoire de mon passage lors de ma première tentative, je n’arrive pas à saisir la localisation de la station de ravitaillement. Les souvenirs que je conserve des lieux et des sensations s’avèrent habituellement assez francs, mais l’association ne se fait pas ici. Mes pensées se creusent et le froid prend de l’espace au bout de mes doigts. Je réalise peu à peu que ce nouveau parcours offre quelques variations et qu’il n’est donc pas identique à celui que j’avais complété auparavant. Il fait froid. Très froid. La buée s’étire en sortant de nos bouches. Ceux et celles qui s’allongent sous leur couverture de survie me semblent immensément courageux. Juste à faire le tour de la station de ravitaillement et de repos du regard, je me sens plus alerte et plus réveillée. En poursuivant mon trajet le long de petits murets de brique, mon esprit réussit à faire accepter à ma tête qu’il nous faudra peut-être nous poser quelques minutes quelques minutes ici et là lorsqu’il fera plus chaud.

Grande-Place-les-bas

Ou le prolongement de l’impression de ne jamais arriver à destination. Les intersections et les points d’eau me confondent. Peut-être la sensation de ne pas reconnaître le tracé est-elle simplement exacerbée par la fatigue. Je passe rapidement cette section, me permettant un arrêt pour fermer les yeux pendant quelques minutes au besoin. Le long du tracé, ce sera la lumière de ma montre qui fera foi d’alarme lorsqu’il me faudra rouvrir les paupières. Tranquillement, le soleil se fait de plus en plus présent, répandant sa chaleur de façon croissante et même si je sais qu’elle peut s’avérer cuisante, je l’apprécie. L’idée principale étant de continuer d’avancer et de penser à m’hydrater avec constance.

Deux Bras 

Un enchaînement de descentes, de sauts entre les rives, de bonds pour franchir d’énormes rochers s’ensuit en direction de Deux bras. La traversée de ce qui ressemble à un réservoir, le long de la tuyauterie, me rappelle les années passées dans la région de Shawinigan, au Québec. Le temps est radieux et je me réjouis du simple fait d’apprécier ces moments où mon corps accepte de pousser pour vivre les descentes avec rythme et fluidité. J’apprendrai plus tard que ce lieu est aussi celui où l’une de nos comparses, Béat, s’est solidement blessée (ce qui ne l’a pas empêchée de compléter son parcours). Le ravitaillement se compose de plusieurs tentes militaires, tantôt munies de lits de camp, tantôt de tables et de chaises adjacentes à la cuisinette, tantôt d’un vaste espace d’entreposage pour les sacs de ravitaillement des coureurs. Assise avec, devant moi, une assiette composée de saucisse et de tranches de fruits, un jus à la main, je tente de me convaincre d’essayer d’avaler quelque chose. Le jus, tout de mangue composé, est absorbé alors qu’un journaliste de Réunion Première, la chaîne de télé locale, s’approche pour me poser des questions. Son sourire fait du bien, mais il semble tout aussi suspicieux que moi quant à la teneur de mon assiette. Quelques minutes de discussion s’écoulent et j’essaie une bouchée de saucisse, geste qui se solde en explosion de liquide en direction de mes voisins de table. La deuxième bouchée me convainc qu’il est temps de reprendre la route et je m’exécute, tout en sueur avant même d’avoir réellement repris le pas de course. Et le plus drôle: je croyais que Deux Bras allait signer la fin du tracé des ascensions, mais il se trouve que non. En quittant le point de ravitaillement, il s’en pointe une autre. Ce moment est celui où je me demanderai pourquoi, mais oh pourquoi, des familles et des vacanciers s’amusent à emprunter ce sentier abrupt, où la végétation est un peu aride par sécheresse et où des jambes fatiguées se sentent rapidement exaspérées. Ma conclusion, en montant: le piment de la saucisse décuple la chaleur.

Chemin Ratineau

Ce passage me rappelle des souvenirs, comme l’impression de marcher dans les rues de l’un des villages de mon enfance. Peut-être mon subconscient le traite-t-il à l’image de mes souvenirs d’Afrique (j’y ai habité étant enfant). Pour la deuxième fois, tout me semble familier et familial ici. Une brève incursion dans la section des arbres penchés et des cordes auxquelles s’accrocher, quelques chemins bordés de petites pierres et de racines, l’impression de me rapprocher de la ville et des bouts de conversation, au passage, captent mes sens. Je ne me demande même plus comment avancer: il est certain que ce parcours se terminera en entrant au stade de la Redoute.

La Possession

Un espace-temps où se prolonge une chaleur extrême. Je rêve de piscine, d’océan et de jets d’eau. En profiter pour m’asperger au maximum à la station de ravitaillement, puis le long de la route, où un bon samaritain nous attend avec son boyau d’arrosage propulsant un arc en ciel de miracles fait partie des cadeaux du moment. La route goudronnée et des restes de crème solaire font partie de ce qui ajoute aux sourires et aux encouragements des passants. Nids d’oiseaux, parc école, airs typiques, panneaux d’affichage que l’on ne peut retrouver qu’ici font partie des petits trésors que ma mémoire enregistre.

Grande Chaloupe

Lieu de commémoration et début du sentier des Anglais, ce point d’arrêt marque un regain frugal alors que je réussis à manger six tranches de pommes. Les quartiers d’orange ne passent pas. Ils se déposent le long du Sentier des Anglais, que j’emprunte avec une joie renouvelée. Poser le pied sur chacun des rochers qui s’emboitent au sol, sautiller de l’un à l’autre, trouver, du regard, les lignes permettant de réaliser un parcours le plus linéaire possible capte complètement mon attention. Là où nombre de coureurs et de coureuses semblent avancer péniblement, j’ai, chaque fois (lire: parcouru deux fois en 2019 et une fois avant la course de cette année), la sensation de revivre en entamant ces quelques kilomètres. Les points de vue donnant sur l’océan ont quelque chose de rafraîchissant. Le parcours se déroule comme de petites vagues s’étalant de haut en bas, puis de bas en haut. Le rythme des coureurs s’étend, lui aussi, de tout son long entre les bosses et les creux.

Colorado
Colorado: toujours trop long quand on se sent fatigués. Il s’étend comme un désert ascendant entre les amoncellements de maisons, quelques étendues de verdure et des pans de route goudronnée. Chaque petite section donne l’impression qu’on arrive au sommet (point qui nous indique que s’amorcera la dernière descente) sans toutefois confirmer cette impression. La métaphore parfaite du jeu psychologique entre en scène ici. Du sable en bloc, du sable en tranchées, des embranchements sablonneux et de la poussière de sable au passage sous nos pieds, autour de nos corps, devant nos yeux. Je ne regarde pas en arrière, parce que je préfère m’imaginer que ce qui se déroule devant moi me rapproche dangereusement de mon but: dévaler la pente qui abrite les derniers kilomètres pour me précipiter, en un morceau, vers la ligne d’arrivée. Ceux et celles qui ont pris le temps de faire une ou encore de multiples reconnaissance(s) d’avant course au Colorado sont fous. Un peu plus que les autres. Mais puisque la participation au Grand raid implique son lot de folie, on se retrouve.

Le coucher de soleil est ahurissant. Je prie pour pouvoir étirer le temps afin d’éviter d’allumer ma lampe frontale. Savourer, en poussant le corps, la technicité du parcours comme les dernières lueurs du jour s’étendant sur les rochers, se déposant sur le feuillage, faisant miroiter une casquette au passage et briller mes yeux, représentent l’ultime plaisir d’être à la veille de compléter une épreuve. Mes jambes n’ont plus de freins. Et mon coeur sourit. Enfin, encore.

La Redoute

Une approche presque nocturne, la musique qui retentit avec la voix de l’annonceur, puis les gens de la ville qui se cordent à la sortie de la descente peuplent l’atmosphère. En levant les yeux, j’aperçois soudainement Vero, qui me suit, en courant parallèlement à moi, sur la route, puis Béat et Christian, longeant jusqu’à l’embouchure du stade. J’avais oublié qu’il nous fallait courir la piste et momentanément, le moteur de mon cerveau appuie sur l’embrayage, histoire de plonger au-delà de la ligne d’arrivée. Je ne réfléchis plus qu’aux prochaines secondes. Puis survient l’éclair euphorisant: j’ai réussi à compléter ce que je ne croyais jamais pouvoir finir sans absorber le nécessaire, nutritionnellement parlant. Je m’étale de tout mon long sur des blocs de bois, juste assez toastée pour savourer cet instant. Je n’ai définitivement pas faim et prendre une douche est alors mon plus grand fantasme. En voyant s’approcher les amis, l’émotion me submerge. Leur présence me fait l’effet d’un gigantesque élan de support. Et je comprends à quel point franchir une ligne d’arrivée en pays étranger, tout en sachant qu’on est accompagné.e, quelque part, de quelque façon, peut réchauffer le coeur.

Un merci unique et vibrant à vous, Béat, Christian, Vero, Joffrey, Line et Themy; faire équipe de voyage en votre compagnie fut magique.

Merci Sangé pour ta générosité et pour ton temps

Merci Christophe, Cindy et Tino pour le bord de mer en bonne compagnie

Courage à tous ceux et celles qui prendront, un jour ou l’autre, le chemin de l’Ile intense. À vivre, à pied et à vol d’oiseau!

La lumière et l’hécatombe

Une ligne de départ toute simple, en bordure de la Zec des Martres, au point d’entrée d’un territoire sauvage. La direction : montagnes à répétition, falaises et forêt boréale aux airs de fin d’été, un territoire où la chasse semble reprendre ses droits, avec septembre. Une fine bruine déposée sur nos joues, rapidement évaporée par des éclaircies presque rythmées, apaise les présences. Les sourires se font légion. Une fébrilité papillonne bien dans l’air et aujourd’hui, je me sens calme, même sereine. L’angoisse du départ ne fait pas partie du tableau. J’ai réussi à dormir, à méditer et je me demande si c’est normal…La normalité, dans le monde de l’ultra tout existe-elle? N’est-elle pas plutôt relative?

Plan d’alimentation à la dérive

À midi quinze, j’ouvre une canette de Red Bull. Stephan, un collègue du Saguenay, me demande si j’en ai l’habitude. En rigolant, je lui répond que c’est un premier essai et que je fondrai sur les cabinets de toilette (ou en forêt) dans l’éventualité où ça n’irait pas. Quelques minutes se passent et nos pas martèlent le sol. Le peloton s’étire un peu. J’observe chacun dans son élan, puis j’entends une personne qui s’écroule sur le bas côté, suivie de l’intervention de coureuses se trouvant, quelques secondes auparavant, au-devant le peloton. Ressentir une vague d’émotion à couper le souffle, fouler le sol à nouveau en tentant d’analyser l’événement et tenter de poursuivre ma route se bousculent en quelques secondes, lesquelles deviennent des minutes, puis éventuellement des heures.

La nausée qui s’est manifestée peu de temps après mon départ s’est faite intermittente, puis ponctuelle et enfin assidue. Je ne saurai pas si le Red Bull, le contact de l’anxiété, la fatigue ou encore toutes ces réponses ont contribué à l’alimenter, mais son aspect plus que tangible en a fait une donnée surprise à laquelle je n’avais prêté aucune attention pendant la phase de planification de la course. Au terme d’un parcours que je réaliserai en vingt-deux heures plutôt que les dix-huit estimées, je n’aurai pu avaler que quelques gorgées de bouillon, une barre Naak, une poignée ou deux de noix, quelques pastilles de sel, quatre tranches d’orange et trois mini boules de riz, à vingt kilomètres de l’arrivée. L’hydratation aura été privilégiée pour tenter de poursuivre debout, avec de l’eau, un quart de tasse de café et environ une tasse de Coca Cola (alliée aux boules de riz, pour faire passer le tout). Bref, prendre conscience de cet aspect me rappelle à quel point il est important et que peu importe nos objectifs, il demeure que le « carburant » joue un rôle assez primordial. 

Connexion nature

Gravir la première section, dans le secteur du Lac à l’Empêche, présente la richesse du territoire et nous permet déjà d’observer pour voir au loin. Les yeux grands ouverts par l’émerveillement et la poitrine compressée par une envie de vomir, donc, je contemple l’univers de contradictions qui s’offre à moi.

Peu avant le premier point de ravitaillement, je croise une collègue mal en point. Ce nombre s’en va croissant avec les kilomètres, comme s’il se produisait quelque chose d’inexplicable. Les abandons se multiplient alors que les sentiers s’ouvrent à nous, offrant pourtant une perspective assez unique : parfois touffue et dense en aval et ensuite presque désertique, bordée de lichen blanc, de rêves de bleuets (plants sans fruits), de thé du Labrador en amont, la nature impressionne. 

L’énergie alterne avec la nausée et ces moments où je peux me laisser aller à danser (courir avec élan) dans les sentiers me paraissent d’autant plus précieux. Je saisis chacun d’entre eux. Ils m’enivrent et me permettent de croire en ma capacité de continuer. Momentanément plongée dans cet élan, je bifurque vers un chemin forestier qui, je l’apprendrai un ou deux kilomètres plus tard, ne fait pas partie du sentier. J’aurai fini par m’en rendre compte en réalisant qu’il n’y avait plus d’empreinte au sol, que les rubans roses n’existaient plus et que la carte d’Ondago indiquait mon point bleu (ma position) sur une courbe de niveau (indice topographique) qui ne correspondait pas du tout à celles qui se trouvaient le long du tracé enregistré. En faisant demi-tour, je me sentais un peu exaspérée, mais aussi reconnaissante d’avoir eu en main le nécessaire pour retracer mon chemin.

Ondago

La montée des Morios, l’un des joyaux situés sur notre trajectoire, se fait efficacement. Les conversations des coureurs qui m’entourent tournent autour du mal de cuisses et de l’effort que représente une telle ascension. Nous en avons encore quelques-unes à prévoir et bien que le soleil, avec un bon gros ruban de vent, nous gratifie de sa présence au sommet des Morios, il me parait fort probable que la nuit risque de se faire longue pour plusieurs. Atteindre le ravitaillement de la Marmotte est un plaisir et bien que je ne sache pas trop quoi manger, j’apprécie le fait de croiser plusieurs visages connus, dont Cécile, Marline et Tania.

Sensations sans invitation

Poursuivre le chemin, avec la fin du jour, amène son lot de sensations parmi lesquelles la nausée reprend ses droits plus rapidement que je ne l’aurais voulu. La montée de La Noyée, éventuellement la Chouette, où Béatrice nous attend avec un carré de chocolat, puis les Hautes-Gorges se font dans l’obscurité. La nature respire la vie et je croise successivement, comme pour adoucir l’envie de vomir, un énorme porc épic, un renard, un lapin, deux perdrix, un crapaud et bien sûr, quelques coureurs. L’esprit de l’abandon se fait de plus en plus sentir. J’y réfléchis en alternant course et marche, en ratant encore quelques embranchements vers lesquels je me réoriente, heureusement, plus rapidement qu’en pleine journée. Voir des gens que j’aime et que j’admire décider de se retirer me fait réfléchir. Ces cent vingt-cinq kilomètres constituent un trajet stimulant et bien que la nature me paraisse parfois hostile ici, la vie qui l’habite me fait bien réaliser que sa beauté nous dépasse. De loin. Est-ce suffisant pour continuer d’avancer? La question me semble plus que pertinente, comme il ne s’agit pas de la première fois que surviennent des difficultés en course. Y pallier signifie gestion de priorités. Mais des questions me taraudent : est-ce que je ne devrais tout simplement pas arrêter de courir? Pourquoi vivre du stress? Est-il sain d’avoir mal et de continuer en ayant conscience de la douleur et des conséquences qui pourraient en découler? Ne devrais-je pas plutôt prêter l’oreille à cette voix qui me parle de repos, de plus en plus fort, depuis des mois, voire des années?

Réflexions, rencontres au pas de course, de marche, puis en station immobile alimentent mes pensées. Parmi les rochers d’un formidable sentier en single track, l’équilibre me fait soudainement défaut et j’ai la sensation de perdre le contrôle de mon corps. À droite, en angle vers les rochers, puis à gauche, sans parvenir à vraiment réajuster la courbure. M’asseoir devient un impératif. Tenter de croquer quelques noix, souffler quelques mots au passage de Marie-Ève, penser à mes collègues, Anne et Martin, que j’aimerais bien voir me dépasser, histoire de me rassurer un peu font partie des préoccupations. Et puis le motto se lève : je veux finir cette course « agréablement » et recevoir mon Opinel. Le temps n’existe plus; la montre devient invisible, la respiration prenante et je compte les kilomètres comme s’il s’agissait de fèves magiques me permettant de retrouver le bon chemin.

Le ravitaillement du Coyote est synonyme d’abandon, encore une fois, alors j’y passe rapidement en ayant toujours en tête l’idée de ne pas oublier le repos. Quatre-vingt-trois kilomètres (environ quatre-vingt-sept avec les détours) sur cent vingt-deux; plus qu’un marathon à parcourir. Gestion de la frustration de ne pas parvenir à me sentir efficace, nausée et soubresauts d’équilibre fragile me traversent tour à tour. Le jour qui pointe son nez et le soleil me font penser à tous ceux et celles qui se sentiront peut-être soulagés de les voir s’installer. Nos lampes frontales s’éteignent, contrairement à nos pas. Et je me répète que je veux finir la course « agréablement », juste pour déjouer l’attention vers quelque chose de plus léger, quitte à m’allonger à l’arrivée. À la dernière croisée, Sarah ainsi que plusieurs autres bénévoles encouragent à grands renfort de sourire, comme tous ceux et celles dont j’ai vu le visage pendant la course.

L’arche 

Les derniers kilomètres de route de terre et de vallons sur terrain ouvert me demandent une volonté particulière. Contrairement à de nombreuses sections franchies sur le parcours, ils n’ont rien de bien technique. Mon corps est suspendu aux grammes de sucre que le Coca Cola me permet de laisser couler, subrepticement, dans ma gorge. Et je trottine vers l’arrivée avec émotion. La lumière et l’hécatombe se font miroir ; parler me fait du bien. Allongée au sol, dans le gravier, je me promets de faire du repos mon allié, mon partenaire. Quinze heures de sommeil se passent et je reprends la route en compagnie d’Anne, la Valkyrie. Nous nous ancrons à l’une des poignées du quai de St-Siméon, histoire d’assurer un retour prochain dans cette région, pour l’UTHC. Parce qu’il est hors de question que je n’y retourne pas.Pour l’absence de dérive, pour une meilleure connexion et pour que les sensations s’invitent autrement. C’est probablement ce qu’on appelle « Find beauty into brokeneness* ».

Au final, le nombre de kilomètres que l’on parcoure ne témoigne peut-être pas nécessairement de la valeur ou de l’importance d’un défi. Ce qui reste pourrait encore et plutôt s’inscrire dans le sens de ce qu’on en retire au bout du compte, de ce que nous en ferons.

Pour ici, pour plus tard, pour toutes les prochaines étapes et pour toutes ces fois qui suivront, à la course comme à la vie.

Merci à l’organisation, à tous les bénévoles, à l’équipe aux communications, à l’équipe médicale, aux amis.es, à Anne, Josée, Sophie, René, Michel, Vanessa et Cyane, Martin et bien d’autres. 🙏

Merci à toutes les coureuses et tous les coureurs qui ont fréquenté, plus ou moins longuement les parcours, et qui nous inspirent. Merci pour votre ouverture et vos belles présences💐

St-Siméon et sa poignée

*Rich Roll

À tout bientôt🦋

Un Relais Memphrémagog 2020 entre course et Bike Packing

«Chaque personne a le pouvoir de faire une différence, d’influencer un certain nombre d’individus, d’être porteur d’espoir, de se repenser et d’être le maillon de quelque chose de beaucoup plus grand. Rien n’est plus fort que la somme des individus qui veulent la même chose. Soyons unis, soyons un mouvement, soyons une force de changement pour l’avenir de nos enfants».

J.Vigneux

Bike packer et courir un trajet de 103 kilomètres. Tracer son chemin sur un parcours tantôt asphalté, tantôt caillouteux pour avancer avec la cause. Utiliser les heures de sa journée en ne pensant qu’à courir, pédaler, boire et grignoter. Parler un peu, dans la distance, histoire de se changer les idées, de ressentir le poids de cette démarche solidaire. Garder le focus, au-devant, avec le sourire. Une autre année pour le quatorzième Relais Memphrémagog…autrement.

Il était à prévoir que l’événement serait, en soi, sans précédent. Alors tant qu’à baigner dans une atmosphère particulière, aussi bien en faire l’occasion d’allier le défi, la cause à l’aventure. Les quelque cent trente deux équipes ayant pris le départ sous un soleil frisquet, le 19 septembre, avaient tout de l’unité motivée à participer jusqu’au bout. Difficile de voir les sourires à moins d’être en train de manger ou de boire, mais on pouvait lire, dans les yeux de plusieurs d’entre nous, le plaisir et la fébrilité de se retrouver sur place.

Cette année, entre le départ et l’arrivée, douze stations s’échelonnaient sur un trajet valonneux. Initiatrice et capitaine, Lyne avait préparé deux vélos afin que notre trio-Sarah, Lyne et moi- puisse se relayer de façon autonome. La durée du périple avait été évaluée à huit heures. Celles qui roulaient transportaient un sac à dos contenant vêtements de rechange, bouteilles d’eau, ravitaillement, kit de mécano, troisième casque de vélo, masques supplémentaires et liquide aseptisant. La coureuse pouvait se concentrer sur son relais, plein soleil, et voir se dérouler le trajet comme une fenêtre au grand panorama alors que les deux cyclistes se relayaient jusqu’au point de contrôle suivant afin de préparer la rotation. Un plaisir et un défi empreint d’un air nouveau.

Photo: Brigitte Fortin

Au fil des stations, nous avons eu l’opportunité de croiser des coureurs motivés, déterminés, accompagnés de voitures tantôt colorées, tantôt hurlantes (lire: chants du klaxon). Il était impressionnant et touchant à la fois de constater que chacun et chacune tenait à faire de son mieux.  Nous n’avions pas le loisir de nous perdre en palabres, le temps filant assez vite. Le fait d’enfourcher un vélo pour progresser, puis d’alterner avec la course offrait son lot de sensations. J’ai compris que la culture du ravitaillement, à vélo, avait son importance et qu’il était fondamental d’être à l’écoute aussi. Les creux, comme les abrupts, nous offraient un parcours campagnard, avec ses portions de route, différent de ce qui se vit en sentier, mais tout aussi charmant. L’oeil filtrait la lumière comme une source qui fait du bien.

J’ai admiré les bénévoles pour leur patience et leur présence d’esprit. Le vent ne les a pas épargnés et je sais, de source sûre, que la journée a été bien remplie. J’ai vu un homme nous faire cadeau de pansements; merci! J’ai vu des collègues et des amis travailler fort. J’ai vu ma fille cadette donner de son temps au sein d’une équipe positionnée en pleine zone fermière. J’ai vu, enfin, des animateurs, des organisateurs et la tête et le coeur dirigeants de la Fondation, Christian, être fidèles au poste avec une passion et un entrain redoutables. Je lève mon chapeau à tous et à toutes. Vous avez fait la différence.

J’ose espérer qu’avec chacun de nos dons, qu’avec chacun de nos pas, nous puissions aussi, collectivement, en faire une pour les jeunes, encore cette année.

Enfin, au fil d’arrivée de ces 103 kilomètres bien pesés, je me suis sentie heureuse d’avoir pu y être, d’avoir eu l’opportunité de partager ces huit heures avec mes coéquipières, d’avoir pu plonger à même l’aventure. Entreprendre un parcours autrement pour grandir encore. C’est ce que je souhaite aussi à tous ceux et celles qui en ont besoin.

Merci, de tout coeur, à chacune des personnes ayant contribué en don, en temps, en présence.

P.S.:

Il est toujours temps de donner. Équipe Lyne Bessette, numéro 78! Suivre le lien: https://relaisdulacmemphremagog.com/liste-des-equipes/

 

Une SolidariCourse sous la lune en Estrie

Depuis le mois d’avril, j’ai été témoin de nombreux élans de solidarité. J’écris ces lignes au moment où le relais a pris son envol au Saguenay, quelques heures après la transition avec la région où je me trouve actuellement, soit l’Estrie. Le Québec est grand et pourtant, il me fait encore l’effet d’un village lorsque je vois tous ces gens qui répondent à l’appel et qui s’impliquent au coeur de nombreuses initiatives. La SolidariCourse est l’une d’entre elles.C’est beau et touchant à la fois

Il y a dix ans, je m’étais promis de contribuer à mon tour chaque fois que l’occasion se présenterait. J’habitais alors Wakefield, en Outaouais, avec mes deux filles, notre maman chat et ses chatons dans le haut d’une grange où se dessinait un appartement une pièce. Vivre avec peu, respirer et prendre le temps de se reconstruire étaient prioritaires. Notre appartement se trouvait meublé d’un petit frigo de camping, d’une cuisinière, de quelques tablettes ainsi que de trois matelas. Notre voiture, Bernadette (une Hyundai Excel 1983) avait rendu l’âme et le moyen de transport préconisé, dans cette belle campagne, s’avérait être la marche ou la course. J’installais alors les enfants dans leur Chariot, l’unique bien de valeur que nous ayons, pour parcourir « le monde ».

Le jour où j’ai saisi le téléphone pour appeler l’aide alimentaire, je m’en suis voulu. Reconnaître qu’on peut avoir besoin d’aide et accepter d’en recevoir se présentent comme des étapes plutôt ardues. Le chemin qui permet de grandir à travers tout ça l’est souvent aussi. Il parle, entre autres, d’estime de soi, de confiance, d’acceptation, de résilience, de patience, de lâcher prise quand il le faut et de persévérance. Dans bien des cas, le dépannage servira à remplir les armoires et les frigidaires, mais il touche aussi des aspects de la vie que plusieurs hésitent à mettre en lumière. Ces passages offrent un autre regard sur celle-ci, quant aux défis, aux rêves que l’on souhaite porter à bout de bras. Ils font des gens qui les traversent des guerriers du quotidien. J’en suis convaincue.

Peu d’entre eux oseront en parler et ce, pour différentes raisons. Les événements des derniers mois et de la semaine qui vient de s’écouler me portent d’autant plus à croire que le fait de prendre la parole est un acte fondamental. Que le choix de le faire et de porter un flambeau, ne serait-ce qu’un instant, font de ces gestes des trésors. Les actions que l’on pose ont, bien souvent, un impact qui nous dépasse.

Relais de nuit

En prenant le relais de la SolidariCourse le 31 mai dernier, au nom de L’Estrie, après avoir soutenu et suivi celui des gens des régions précédant la nôtre, j’avais l’intention d’alimenter cet esprit d’équipe, ce soutien collectif que l’on peut s’offrir les uns aux autres et de donner une autre occasion aux gens de se sentir connectés ensemble. Plusieurs initiatives avaient et ont encore court ici. Autrefois, j’ai entendu Christian Vachon (de la Fondation Christian Vachon, une institution ici) dire : « la pauvreté, c’est difficile à vendre ». Il en va probablement de même pour les enjeux de santé mentale, des besoins de base tels que ceux reliés à l’alimentation ou à la sécurité. Et pourtant, de semaine en semaine, des volontaires et des contributeurs se sont manifestés. Curieusement, peu d’entre eux ont refusé de s’impliquer parce qu’ils participaient déjà à un autre défi ou qu’ils contribuaient à une autre cause. J’ai vu plusieurs personnes revêtir plus d’un dossard, tout comme moi, en hommage et en soutien à ces causes. J’en ai été touchée.

La semaine qui s’est achevée m’a permis de constater, encore une fois, que le fait de communiquer peut, définitivement, changer quelque chose. Que de s’exprimer franchement, en toute simplicité, a son importance. Et que ceux et celles qui prennent part à ce formidable élan de solidarité contribuent, à leur façon, à construire le monde dans lequel on souhaite continuer de vivre, mais aussi celui que nous laisserons à nos enfants. Celui que nous empruntons à la Terre. Celui qui habite bien plus et bien plus grand que nous. Au-delà des peurs, des inquiétudes et des jugements, une solidarité est une empreinte qui permet d’alimenter le coeur comme les esprits. Et c’est en partie ce qui nous relie. Parce que chacun de ces gestes solidaires tend la main vers un aujourd’hui et un lendemain qui pourront être peuplés de réels échanges.

La Solidaricourse, 24h sur 24, sept jours sur sept, m’a aidée à croire que nous sommes capables de mieux, que nous pouvons être, tout simplement, complètement. Que la solidarité continue de se présenter comme une perle que l’on gagne à cultiver et à partager. Au terme de cette semaine, j’aurai couru et marché, chaque nuit, pendant quelque 27 heures, bien souvent seule (mais pas seule) parfois avec mes enfants et d’autres fois en relais virtuel avec des collègues situés aux quatre coins du Québec. Au lever du soleil, puis au fil de la journée, j’aurai pris le pouls de chacun des participants et échangé des encouragements avec tous ceux qui se sont affairés à maintenir la communication. Un trésor

J’en retiens qu’au final, même lorsqu’on peut avoir l’impression d’être seul(e), il est important de se rappeler que, d’une façon ou d’une autre, nous sommes accompagnés. Que la solidarité est un choix. Et que ce choix nous permet d’avancer.

Parce que nous sommes humains et que l’humanité grandit en interrelation. Elle grandit quand on s’engage. Quand on y croit.

Remerciements : À ceux et celles qui, de près ou de loin, ont répondu à l’appel; à mes proches, à mes enfants, à mes collègues et amis, à toute l’équipe de la SolidariCourse, à Patrick Trudeau (Reflet du Lac), à Jean-Guy Rancourt (La Tribune) ainsi qu’à Nicolas Fréret et Vincent Champagne, de Distances +. 

Reprise: 

« On ne peut pas répondre à de l’indifférence par de l’indifférence.
Il faut répondre à la colère par de l’écoute.
Il faut répondre à l’indifférence par de la compassion.
Il faut répondre à la haine par d’irrésistibles gestes d’amour.
Et il faut encore et toujours rêver d’un monde où nous sommes tous et toutes blancs ou noirs, jeunes ou vieux, hommes ou femmes, croyants ou non, influents ou non, libres parce que capables d’aimer les autres plus qu’on s’aime soi-même.
C’est ça que j’entends mon père me dire depuis quelques jours, dans ma tête. Dans mon coeur. “Because that is how we love and how we win, son.” »

Grégory Charles

Dernier relais/David Bombardier, virtuellement accompagné

#SolidariCourse

#Solidarité

#LaCliniqueduCoureur

#HealthyRebelTribe

 

L’esprit du trail et la solidarité

Photo: SolidariCourse

L’esprit du trail, c’est comme une histoire qu’on ouvre et qu’on ne finit plus de lire…jusqu’à la vivre. On plonge dans ses images, on galope, on contemple et on s’y retrouve, parfois, à bout de souffle, mais repus. L’incursion peut durer quelques minutes, quelques heures, voire quelques jours. Et quand on en ressort, on se dit, bien souvent, qu’on y reviendra. Peut-être pas tout de suite, mais bien assez vite pour respirer encore un peu ou beaucoup chacun de ses passages. Il s’étend jusqu’à la route et teinte nos regards avec sa lentille sous un angle unique. L’esprit du trail ne s’essoufle pas, lui, et il semble nous unir les uns aux autres, aujourd’hui, alors que la montagne se fait lointaine et que les sentiers appellent les empreintes.

Physiquement parlant, en ce moment, il me manque. Après avoir récolté des bribes d’histoires, ici et là, je me suis replongée dans son étendue. Dans la couleur de ses expériences, au coeur de l’importance qu’elles revêtent dans nos vies. On décrit souvent la course comme une discipline individuelle. Elle l’est, de bien des façons. Mais elle évoque aussi une formidable toile de connexions qui se tissent au-delà des frontières, des barrières et des préjugés. Nous sommes reliés par nos passions, par nos intérêts, nos valeurs. Nous nous retrouvons sur les sentiers, au bas ou au sommet des montagnes, bien simplement vêtus, avec cet élan qui nous caractérise et qui forge celui ou celle que nous sommes. Je crois que la course et la course en sentier transforment. On peut certainement en dire autant de ce qui nous interpelle et nous fait grandir dans chacune des sphères de nos vies.  Empreint de ce qui reste. Comme une histoire qu’on ouvre et qu’on commence à lire…

Photo: Nico et Geneviève

Coureurs et randonneurs, Nico et Geneviève m’en ont longuement parlé. Actuellement logés dans les environs de Mirabel, ils sont sur les pistes depuis peu et ils s’investissent avec curiosité, engagés à aider. Ils ont rencontré Olivier Le Méner, de l’Ultra Trail Académie, il y a déjà un moment pour participer à ses ateliers, puis venir en aide en termes de préparation des lieux et des trajets de course. Pour eux, le trail est synomyme de voyage, d’opportunité de se connaître, de méditer, d’aller explorer ses limites et de travailler ensemble, en collectivité. Ils s’offrent volontiers pour contribuer, voir s’étendre les effets directs et colatéraux positifs d’une telle pratique. Humbles et enthousiastes, ils continuent d’explorer le monde de la course le coeur grand ouvert. Nico m’a exprimé y avoir retrouvé son chemin. Geneviève y dessine, pas à pas, le sien. J’ai l’impression que c’est une caractéristique commune des passionnés. On croise, ici et là, des personnes qui nous ressemblent et l’on reconnaît cette lumière dans les yeux de l’un et de l’autre. En toute simplicité. Prendre le temps de choisir les parcours qui nous animent, qui nous allument pour apprendre davantage, pour goûter les sentiers, pour y être, complètement. Comme une histoire qu’on ne veut pas terminer…

Photo: Ultra Trail Académie

Renée Hamel, coureuse d’aventure, m’a décrit cet esprit du trail comme un élément fondamental, lequel relie les gens. Qu’on se trouve dans son propre coin de pays ou que l’on atterrisse à l’Étranger, peut-être en terrain inconnu, le langage de la course et l’amour de l’aventure nous permettent, ponctuellement, de communiquer avec ceux et celles qui entreprennent ou qui souhaitent entreprendre ce à quoi nous aspirons. Qu’on parle d’une sortie de courte ou encore de longue durée, cet esprit appelle l’authenticité, la présence, le bonheur de bouger et de pouvoir être contagieux au-delà des frontières. Des moments qui se dessinent commes étant, à prime abord, des rêves devenus objectifs prennent l’aspect de souvenirs marquants et de perles que le temps n’effacera pas. Ils nous permettent de devenir, chaque jour, davantage celui ou celle qui rayonne par le simple fait de se permettre d’y être, pleinement. Je crois que ce sont aussi ces moments qui génèrent de nouveaux projets, lesquels seront tributaires de nouvelles rencontres, de nouveaux apprentissages et de surprises. À l’image de celles qui surgissent  lorsqu’on tourne la page d’une histoire.

Photo: courtoisie

À bien y penser, au fil du temps et des entrevues que je mène avec des coureurs de tous acabits, je réalise que cet esprit bien unique se porte toujours présent, d’une façon ou d’une autre. Que l’on s’affiche comme compétitif, participatif ou coopératif, on peut percevoir ce quelque chose, ce qui nous accroche, ce qui fait qu’on reconnait les visages d’un lieu à un autre, d’un moment au suivant. On peut en quelque sorte faire le pont entre ce qu’on vit au quotidien et ce qu’une expérience en course nous offre. L’un se transpose à l’autre. En continu. Enfin, je crois que c’est ce qui se produit lorsqu’on y accorde de l’importance. Lorsqu’on y retourne. La performance tout comme l’expérience suscitent un affect bien particulier. C’est ce qui rend riche et vivant cet esprit. Comme une histoire qui prend vie…

Récemment, l’opportunité de contribuer à une énorme vague humaine s’est présentée. On parlait de virtualité, de relais, de course, de marche, de sourires, de partage, de contribution, d’aide et d’implication. On parlait d’une équipe. Et surtout, de solidarité. J’ai été saisie par la force qu’un mot, suivi de mille et une actions, en concertation, pouvait avoir. Encore. La communication, comme la course, ont pris une place proéminente. Jour et nuit, d’heure en heure, pour avancer.

Simplement

Ensemble

En solidarité

Cet ensemble qui, me semblait-il, me manquait parfois; le solo devenu solidarité. Comme le loup et les oiseaux, les uns se relaient aux autres afin d’aller plus loin, de parcourir la distance et le temps qui font de nous des êtres humains. Des êtres reliés.

Autrement, pour un moment, avec tout un lot d’énergie et de soutien

Assise à la grande table de la maisonnée, alors que j’écris ces lignes, je viens de lire que nos parcs et nos aires en nature seraient bientôt à nouveau accessibles. Que je pourrai, par conséquent, embrasser la montagne avec autant de foulées que d’éclats de rire. Peut-être quelques larmes aussi. Et je pense, en même temps, à tous ces messages que l’on se partage, en ligne ou par la poste – j’ai repris goût à l’envoi d’une lettre avec un timbre, geste qui me paraissait presque archaïque il y a quelques mois. Il y a, dans ces élans de communication, dans cette vague humaine et humanitaire qui se lève, une formidable transformation. Pas à pas. Un sourire, une salutation, un aurevoir après l’autre.

Ma nature sauvage veut se fondre dans la forêt. En même temps, ici et maintenant, je ne peux qu’honorer la grandeur de ce que j’observe, par-delà les claviers.

Vivement les accolades

Remplies

Repues

Prêtes pour une nouvelle histoire

Photo: Tour du Lac Memphrémagog

#Solidarité

#SolidariCourse

#Jesuisloup

#Ultralife

#LaCliniqueduCoureur